«
Un jour d’hiver glacial, les porcs-épics d’un troupeau se serrèrent les uns contre les autres afin de se protéger contre le froid par la chaleur réciproque.
Mais, douloureusement gênés par les piquants, ils ne tardèrent pas à s’écarter de nouveau les uns des autres. Obligés de se rapprocher de nouveau en raison du froid persistant, ils éprouvèrent une fois de plus l’action désagréable des piquants, et ces alternatives de rapprochement et d’éloignement durèrent jusqu’à ce qu’ils aient trouvé une distance convenable où ils se sentirent à l’abri des maux. »
Ils cherchaient une « distance convenable » pour se mettre à l’abri du froid en persistant à se piquer ?
Pour Freud, la conclusion est typiquement pessimiste : il ne peut y avoir de bonne présence, les gens comme nous continueront à se piquer.
En conséquence, il n’a pas voulu imaginer que chacun puisse peut replier ses piquants de défensivité Au point d’avoir vraiment bien chaud et d’être proche des autres sans se piquer.
Non-défensivité pour mieux communiquer
Cette parabole désenchantée sur les relations « énergétiques » ne vaut pas que pour les porcs-épics ; elle concernerait aussi ce genre particulier de « porc » même « épique » que peut être tout être humain au travers de ses expériences et surtout dans la mise en œuvre de l’énergie motrice qui lui est donnée et qu’il a besoin de développer, de dépenser, de « brancher », autant que possible, sans en perdre le contrôle !
Cependant cette parabole peut être corrigée :
des biologistes peuvent en effet nous dire qu’il eût été possible que les porcs-épics s’approchent plus près les uns des autres en repliant leurs piquants. Et ce possible est à tenter, en sage économie de nos énergies ! Non ?
Ceci voudrait dire peut-être que nous pouvons être plus près nous aussi les uns des autres à condition de ne pas être continuellement enclins à nous protéger à coup de défenses piquantes.
Il faudrait parier pour une « non-défensivité », pour une « non-réactionnalité », croissantes dans les rapports humains, pour l’acceptation de l’énergie d’autrui, non plus ressentie comme dangereuse, mais, avec certaines précautions, conçue en tant que neutre ou chaleureuse.
Nous pouvons affirmer notre énergie sans qu’elle soit nécessairement surdramatisée, c'est-à-dire sans qu’elle soit rendue impulsive en cédant à une inertie qui la gaspillerait pour tenir rigidement à distance les autres personnes.
Nous allons certainement vers des temps au cours desquels la proximité de l’être à l’être deviendra de plus en plus forte : il faut donc, bon gré mal gré, que nous nous habituions à être moins défensifs vis-à-vis des autres personnes, si nous voulons bénéficier de nos énergies réciproques au lien de passer notre temps à nous détruire ou à nous neutraliser réciproquement à coup d’émotions.
in. André de Peretti, Risques et chances de la vie collective, éd. EPI, 1972, p.42 sq
Ce commentaire écrit il y a plus de trente ans conserve aujourd’hui son « piquant », en particulier dans notre petit monde de l’éducation, où il est question, plus que besoin, de défense, de distance vis-à-vis d’agressions et d’incivilités.
On pense aux rapports entre élèves, mais cela peut s’appliquer aussi à la collaboration entre enseignants, non ?
Cela ne dirait-il rien, en effet, à propos de nos rapports entre collègues dans l’enseignement ?
Et cela n’interrogerait-il pas nos relations avec les élèves et, leur usage, notre habileté, nos ruses, pour replier nos piquants et faire se replier en groupe et en classe leurs piquants respectifs ?
Oui, au fait, quels sont nos propres piquants ? Nos susceptibilités et nos défauts, ou nos préventions et nos critiques à l’égard de nos collègues, ou de nos élèves, peuvent-elles être relativisées, retenues, déconstruites selon l’esprit et l’encouragement de Derrida ?
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