Ernst Cassirer
(1874-1945)
Nous n’en avons jamais autant su sur notre monde, les êtres qui l’habitent et leurs représentations collectives. Pourtant, ce progrès phénoménal des sciences de la matière, du vivant et des sciences humaines, n’a pas été suivi d’une meilleure connaissance de nous-mêmes. Bien au contraire. L’être humain et ses productions peuvent-ils être compris de manière globale, au milieu d’une prolifération de discours souvent contradictoires à leur sujet ? C’est la question qui travaille toute l’œuvre d’Ernst Cassirer, qui se donne pour mission de « trouver un fil d’Ariane pour sortir de ce labyrinthe », sans quoi « aucune connaissance réelle du caractère général de la culture humaine ne sera possible. »
Né à Breslau en 1874 dans une famille juive allemande aisée et cosmopolite, Ernst Cassirer suit des études de droit et de philosophie. Nommé professeur en 1909 à Hambourg, il y enseigne jusqu’en 1933, où il quitte l’Allemagne pour fuir les persécutions nazies. Il continue sa carrière dans les universités d’Europe et d’Amérique et meurt à New York en 1945.
Le premier pan de son travail est constitué par sa réflexion sur la théorie de la connaissance. Tout en maintenant l’exigence d’Emmanuel Kant de fonder une méthode objective, il aborde les concepts scientifiques non pas comme des éléments statiques mais comme des tissus de relations (Les concepts de substance et de fonction, 1910).
Cassirer s’emploie ensuite à unifier la pensée scientifique et non scientifique à travers les « formes symboliques » qu’elles produisent toutes deux, et qui structurent notre expérience du monde (Philosophie des formes symboliques, 1923). Arts, langage, mythes et connaissance sont « autant de tentatives pour transformer le monde passif de la simple impression, où l'esprit semble toujours enfermé, en un monde de pure expression de l'esprit. » Au bout de ce travail de symbolisation se trouve la « personnalité libre » (freie Persönlichkeit), pour qui l’expérience sensible fait sens dans sa globalité, et qui est capable de s’approprier les biens culturels qui lui sont présentés. Cette définition de l’être humain comme « animal symbolique » s’oppose à celle que propose Heidegger — pour ce dernier, l’homme serait un « être-là » (Dasein) plongé dans le temps, aux prises avec sa liberté et sa finitude. En 1929, les deux philosophes s’affrontent à Davos, dans un débat qui fera figure de point de rupture entre une philosophie humaniste, rationaliste, héritée des Lumières, représentée par Cassirer, et une philosophie centrée autour de la question de l’Être, qui marquera profondément la suite du XXe siècle.
Quatre ans après Davos, le parti nazi arrive au pouvoir, en s’appuyant sur une mythologie aryenne — et avec le soutien d’Heidegger. Cassirer analyse le nazisme comme la prise de contrôle d’un mythe (celui de l’État aryen) sur une réalité humaine. Les crises sociales, en déstabilisant nos représentations de la réalité, peuvent en effet nous rendre incapables de tenir à distance les symboles que nous avons élaborés. Ces symboles « détraqués », transformés en mythes puis en préjugés, nous font perdre de vue notre humanité.
Cassirer fut également un grand professeur d'histoire de la philosophie, et notamment un fin connaisseur de la Renaissance et des Lumières. Les ouvrages d'histoire de la philosophie que l'on doit à Cassirer (Individu et Cosmos à la Renaissance, Le Problème Jean-Jacques Rousseau) sont d’ailleurs davantage consultés aujourd'hui que son œuvre philosophique originale.
Lien :https://www.philomag.com/philosophes/ernst-cassirer?fbclid=IwAR2Nu7ySnBRkjGGS8-lmaBC75Lu3tj1iUcv67XosGxbnIIhh3XyNUY7hNLE
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