Les résultats
L'application de cette méthode confère aux textes un sens plus convaincant. Les phrases se coulent plus harmonieusement dans leur contexte. Bien des détails bizarres venant comme des cheveux sur la soupe, s'évanouissent. Il me faut en donner ici quelques exemples. Je ne puis fournir que les résultats, sans présenter le raisonnement toujours érudit et souvent subtil qui y mène et qui seul les rend plausibles. Le danger de ce procédé est de donner une impression d'arbitraire. On sera bien inspiré de ne pas se hâter de réfuter Luxenberg en se fondant sur ma présentation nécessairement mutilée.
Je présenterai d'abord la traduction française la plus sérieuse, celle de Régis Blachère, puis je traduirai de l'allemand celle de Luxenberg, en mettant en italique les mots dont il restitue le sens à partir du syro-araméen.
Abraham est sur le point de sacrifier son fils (XXXVII, 103-104) :
Or quand ils eurent prononcé le
salam et qu'il eut placé l'enfant
front contre terre...
Quand ils eurent fini (de préparer
le bûcher) et qu'il (Abraham) l'(son
fils) eut (placé) attaché sur le
bûcher (L, 148).
Dans la sourate de Marie, Jésus à peine né s'adresse à sa mère pour la consoler (XIX, 24) :
Mais l'enfant qui était à ses pieds
lui parla : ne t'attriste pas ! Ton
Seigneur a mis à tes pieds un
ruisseau.
II l'appela dès après son accou-
chement : ne t'attriste pas ! Ton
Seigneur a rendu ton accouche-
ment légitime (L, 120).
Enfin, une meilleure compréhension des outils syntaxiques permet de restituer dans son articulation logique une période entière. En voici une, qui figure en XII, 116-117 :
Parmi les générations qui furent
avant vous, pourquoi les gens de
piété qui interdirent le scandale
sur la terre et que Nous sau-
vâmes, ne furent-ils que peu
nombreux, alors que les injustes
suivirent le luxe où ils vivaient et
furent coupables ? Ton Seigneur
n'était pas capable de faire injus-
tement périr ces cités alors que
leurs habitants pratiquaient la
sainteté,
Si, parmi les générations qu
furent avant vous, il n'y avait pas
eu que peu d'(hommes) vertueux-
desquels nous avons sauvé
quelques-uns - afin de résister au
mal sur la terre, de sorte que ceux
qui prévariquaient persévérèrent
dans leurs débordements et
furent pécheurs, alors, toi
Seigneur ne serait pas venu pour
anéantir les villes, si leurs habi-
tants avaient été justes (L, 189).
De la sorte, l'allusion au récit biblique devient plus claire Abraham marchande avec YHWH (Genèse, 18, 23-32), il s'avère que Sodome n'abritait même pas dix justes, ce pour quoi YHWH la détruit (ib., 19, 24s.), mais épargne Lot et sa famille (ib., 19, 16) (L, 190).
Adieu aux houris
Luxenberg examine à fond un exemple particulièrement intéressant, quoique le résultat de son enquête soit négatif.
Tout le monde connaît les houris, les vierges du paradis qui alimentent tant de fantasmes. Leur existence n'est d'ailleurs pas sans poser quelques difficultés. Les textes eux-mêmes ne sont pas clairs, à commencer par le mot « houri » lui-même. Il vient de hùr in, communément compris comme signifiant « blanches "quant aux" yeux». Or, de beaux yeux ne sauraient être blancs. Seuls ceux des aveugles le sont (XII, 84). Les commentateurs expliquent que le blanc des globes fait ressortir le noir des iris (L, 232). Avec cette logique, on dira que Marilyn Monroe était brune, quand sa peau bronzée faisait ressortir le blond de ses cheveux... Quant à la cohérence du texte, il est dit que les croyants entreront au paradis avec leurs épouses (XXXVI, 56; XLIII, 70), des épouses terrestres, donc. Les pauvres devraient-elles tenir la chandelle pendant que leurs maris s'ébattent avec les houris ? (L, 229).
Les chrétiens tirent souvent argument des houris pour reprocher aux musulmans leur paradis grossièrement matérialiste. Certains musulmans s'en tirent en allégorisant discrètement. D'autres, comme Avicenne, rétorquent que le paradis promis aux chrétiens - la vision de Dieu - pourrait certes convenir à un peuple de philosophes, mais qu'il est trop pâle pour motiver des guerriers et qu'il faut au peuple du tangible [20].
Luxenberg ne craint pas de désespérer Billancourt et nettoie le Coran de ce qu'il considère comme indigne de lui. À propos d'un passage communément compris comme signifiant que personne n'a défloré les houris, on lit un des très rares passages qui, dans ce livre froid, trahissent une émotion : « quiconque lit le Coran en y comprenant un tant soit peu quelque chose ne peut s'empêcher, à ce passage, de se prendre la tête dans les mains. Ce n'est pas la seule ignorance qui est ici responsable. Il faut déjà une bonne dose de culot, dans un livre saint, ce qu'est le Coran, pour s'imaginer quelque chose de tel et pour le prêter au Coran. Nous voulons donc nous efforcer de restituer sa dignité au Coran » (L, 249 et voir aussi 225, 259, 275).
Sous le traitement philologique de Luxenberg, les prétendues houris s'évanouissent. Les passages que l'on Interprétait en ce sens s'avèrent parler non de femmes, mais de... raisins blancs.
Mettons une fois de plus en parallèle les traductions reçues et celles de Luxenberg. Ainsi, XLIV, 54 et LU, 20 :
Nous les aurons mariés à des
Houris aux grands yeux.
Nous les installerons confortable-
ment sous des (raisins) blancs,
(clairs) comme le cristal (L, 226).
Ce passage me permet de donner un exemple pas trop technique de la méthode de Luxenberg. « Nous les avons mariés » traduit zawwajnâhum. Luxenberg suppose rawwahnâhum, dont le ductus ne se distingue de celui du premier mot que par des points diacritiques absents des manuscrits. Le mot fut lu à partir de la conjonction (bi-) qui suit, et suggéra le verbe « marier », lequel régit cette conjonction. Mais la même conjonction, en syriaque, signifie entre autres « parmi, sous. »
Ou encore II, 35 :
[Dans ces jardins, ils auront] des
épouses purifiées.
[...] toutes espèces de (fruits) purs
(L, 242).
XXXVII, 48-49 :
Près d'eux seront des [vierges]
aux regards modestes, aux [yeux]
grands et beaux et qui seront
comme perles cachées,
Pour eux (seront à leur disposi-
tion) (pour qu'ils les cueillent) des
fruits pendants (des raisins), (tels)
des joyaux, comme s'ils étaient
des perles(encore) enfermées
dans la coquille (L, 243).
En fait de joies paradisiaques, le Coran ne connaît donc que le boire et le manger, rien de plus (L, 247). Il ne s'écarte pas sur ce point de la symbolique du banquet eschatologique, présent dans les Écritures antérieures. Voire, il reprend avec Précision une imagerie courante en Orient chrétien, en particulier dans les hymnes sur le paradis d'un auteur qui était très lu dans le milieu d'origine du Coran, le père de l’Èglise syriaque s. Ephrem de Nisibe (L, 234s.).
Des heures arabes
On a depuis longtemps mis en rapport le Coran ave monachisme, tel qu'il existait à l'époque de Mahomet et dans son milieu. La légende musulmane a parlé du moine Bahira qui aurait découvert les signes d'une mission prophétique chez Mahomet encore enfant [21]. La contre-histoire chrétienne, dès Jean Damascène (vers 650-750), a fait valoir que Mahomet aurait fréquenté un moine arien, qu'il ne nomme pas, et qui lui aurait tout soufflé [22]. On a pu interpréter comme l’aveu d’un emprunt le passage suivant « Certes nous savons que [les infidèles] disent : « Cet homme a seulement pour maître un mortel ! » Mais la langue de celui auquel ils pensent est [une langue] barbare, alors que cette prédication est [en] claire langue arabe» (XVI, 105). Luxenberg garde une tradition analogue, mais en se fondant sur un verbe syriaque (L, 87-90).
En tout état de cause, le Coran contient, outre des critiques envers les moines (IX, 31) des mentions qui leur sont favorables (V, 82). Il semble enfin que le fameux verset de la lumière (XXIV, 35-37) décrive une lampe de couvent, selon une thématique familière aux poètes antéislamiques [23].
Le Coran tel que le restitue Luxenberg s'avère contenir des allusions à des prières chrétiennes, pour ne pas dire des citations de celles-ci. Il convient de signaler que l'hypothèse avait déjà été avancée par un autre savant allemand auquel, curieusement, Luxenberg ne fait pas la moindre allusion, Günter Lüling. Le livre de cet outsider avait été publié à compte d'auteur, et n'avait que peu attiré l'attention [24]. Reste qu'il proposait de voir dans plusieurs sourates des hymnes chrétiennes antérieures à Mahomet, et « islamisées » ensuite par des rédacteurs plus tardifs. Parmi celles-ci, il en est que Luxenberg n'examine pas, comme la LV ou la LXXX. Mais il y a aussi la XCVI, qu'il examine. Et l'hypothèse philologique sous-jacente - ne pas tenir compte des points diacritiques - est analogue chez les deux auteurs.
Voici en tout cas la courte sourate 108, selon la traduction de R. Blachère, puis selon celle de Luxenberg.
En vérité, nous t'avons donné
l'abondance. Prie donc en l'hon-
neur de ton Seigneur et sacrifie !
En vérité, celui qui te hait se
trouve être le déshérité !
Nous t'avons donné la (vertu de)
constance. Prie donc ton Seigneur
et persévère (dans la prière) ! Ton
adversaire (Satan) est alors le
vaincu (L, 275).
On reconnaît une adaptation d'un passage du Nouveau Testament, la première épître de s. Pierre : «[...] Votre partie adverse, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez lui, fermes dans la foi [...] » (5, 8s.). Le verset est d'autant plus intéressant qu'il a été repris dans le livre de prière des moines, dans l'office du soir, les Compiles.
Selon la tradition musulmane, la sourate 96 fut la première à avoir été révélée par l'ange Gabriel. Voici à nouveau la traduction de Blachère [25] et celle de Luxenberg.
Prêche au nom de ton Seigneur
qui créa
qui créa l'homme d'une adhérence
Prêche !, ton Seigneur étant le
Très Généreux qui enseigna par le
Calame
Et enseigna à l'Homme ce qu'il
ignorait. Prenez garde ! L'Homme
en vérité est rebelle parce qu'il se passe de tous.
A ton Seigneur pourtant tu retourneras. Penses-tu que celui qui défend
à un serviteur [d'Allah] de prier,
Penses-tu qu'il soit dans la Direction
ou qu'il ordonne la piété ?
Penses-tu [au contraire] qu'il crie au mensonge et se détourne [de la vole droite] ? Ne sait-il pas
qu'Allah le voit ?
Qu'il prenne garde ! S'il ne s'arrête, en vérité, Nous le traînerons [en Enfer] par le toupet de son front,
Toupet menteur et pécheur !
Qu'il appelle son clan !
Nous appellerons les Archanges.
Prends garde ! Ne lui obéis pas !
Prosterne-tol et rapproche-toi [d'AIlah] !
Invoque le nom de ton Seigneur, qui a créé, qui a créé l'homme
(d'argile) collante; Invoque ton Seigneur digne qu'on l'honore, qui
a enseigné par le calame (l'Écriture)
à l'homme ce qu'il ne savait pas du tout. Certes, l'homme oublie,
quand il voit qu'il s'est enrichi,
que (cela) se ramène à ton Seigneur.
Quand tu en vois un, qui (veut) empêcher (de prier)
un serviteur (de Dieu), quand il prie,
crois-tu qu'il est sur le droit chemin
voire qu'il a de pieuses pensées ?
(Mais) situ crois qu'il renie (Dieu)
et se détourne (de Lui),
Ne sait-il pas que Dieu voit tout ?
S'il ne cesse pas, nous punirons l'adversaire, l'adversaire qui renie et pèche !
Invoque-t-il ses idoles,
c'est un (dieu) passager qu'il invoquera !
Tu ne dois pas du tout l'écouter, mais rends ton culte et communie
(L, 293-296).
D'autres sourates, comme LXXIII et LXXIV, rendent un son analogue. On peut les lire comme des exhortations à la prière, en particulier à la prière du soir, qui constitueraient ainsi une sorte de règle monastique (L, 276).[/color]
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