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 Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI

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florence_yvonne
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MessageSujet: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:41

Les titres attribués à Jésus :

Du vivant de Jésus, explique Benoît XVI, certains cherchaient déjà à interpréter le mystère de sa personne en lui appliquant des catégories qui leur étaient familières et qui étaient donc supposées décrypter son mystère : on considère qu'il est un prophète qui est revenu, Élie ou Jérémie, ou bien encore Jean le Baptiste (cf. Mc 8, 28 ; Mt 16, 14 ; Lc 9, 19). Dans sa confession de foi, Pierre utilise, nous l'avons vu (chap. 9), d'autres titres plus nobles : Messie, Fils du Dieu vivant. Les efforts pour résumer le mystère de Jésus en lui donnant des titres qui interprétaient sa mission et sa nature se poursuivirent après Pâques. À partir de là, trois titres fondamentaux ressortent : Christ (Messie), Kyrios (Seigneur), Fils de Dieu.

En tant que tel, le premier titre était à peine compréhensible hors de la sphère sémitique. Il n'a pas tardé à être abandonné comme tel en se fondant avec le nom de Jésus : Jésus Christ. Le terme interprétatif est devenu un nom et ce passage au nom recèle aussi un message plus profond : il ne fait qu'un avec son ministère, sa mission et sa personne ne peuvent être dissociées. Sa mission est ainsi devenue une partie de son nom, et ce à juste titre.

Restaient alors les deux titres Kyrios et Fils, qui allaient tous les deux dans la même direction. Au fil du développement de l'Ancien Testament et du judaïsme primitif, observe Benoît XVI, le mot « Seigneur » était devenu une désignation de Dieu, faisant ainsi passer Jésus dans la communion ontologique avec Dieu lui-même, l'authentifiant comme le Dieu vivant désormais présent pour nous. De même, l'expression « Fils de Dieu » le reliait à l'être de Dieu lui-même. De quelle nature allait être ce lien ontologique ? Ce problème devait nécessairement donner lieu à des débats laborieux dès lors que la foi voulait aussi faire la preuve de sa raison et qu'elle aspirait à une connaissance claire. Est-il fils en un sens dérivé, celui d'une proximité particulière avec Dieu ? Ou bien l'expression indique-t-elle qu'en Dieu lui-même il y a le Père et le Fils ? Qu'il est vraiment « l'égal de Dieu », vrai Dieu né du vrai Dieu ? Le premier concile de Nicée (325) a exprimé le résultat de cette recherche laborieuse par le mot homoousios (« consubstantiel » « de même substance »), le seul terme philosophique passé dans le Credo. Et ce terme philosophique sert à conforter la pertinence de la parole biblique. Il veut nous dire que si les témoins de Jésus proclament que Jésus est « le Fils », ils ne le font pas dans le sens mythologique ou politique, les deux interprétations suggérées par le contexte de l'époque. Il faut le comprendre au pied de la lettre : oui, en Dieu lui-même a éternellement lieu le dialogue du Père et du Fils, qui sont vraiment le même et unique Dieu dans le Saint-Esprit.

Les titres christologiques de majesté que nous rencontrons dans le Nouveau Testament ont donné lieu à une abondante littérature. Mais la discussion sur ce sujet n'entre pas dans le cadre de ce livre. Celui-ci cherche à comprendre le chemin de Jésus sur terre et sa prédication et non pas l'élaboration théologique dont il a fait l'objet dans la foi et la pensée de l'Église primitive. En revanche, souligne Benoît XVI, nous devons regarder d'un peu plus près les termes utilisés par Jésus pour se désigner lui-même dans les Évangiles. Il y en a deux. D'un côté il se nomme avec prédilection « Fils de l'homme », de l'autre on trouve des textes, en particulier dans l'Évangile de Jean, dans lesquels il parle simplement de lui comme le « Fils ». Quant au titre de « Messie », Jésus ne se l'est jamais appliqué, et celui de « Fils de Dieu » se trouve dans sa bouche dans quelques passages de l'Évangile de Jean. Quand on lui donne des titres messianiques ou qu'on utilise des formules apparentées - comme, d'un côté, dans l'épisode de l'expulsion des démons, ou de l'autre dans la confession de foi de Pierre -, il enjoint à ses disciples de se taire. Il est vrai qu'au-dessus de la croix est ensuite inscrit — cette fois publiquement pour le monde entier — le titre du Messie : Roi des Juifs. Et s'il peut figurer dans les trois langues du monde de l'époque (cf. Jn 19, 19-20), c'est que les malentendus qu'il pouvait susciter sont désormais écartés. La croix en tant que trône donne au titre sa bonne interprétation. Regnavit a ligno Deus - Dieu règne par le « bois », c'est ainsi que l'Église antique a chanté cette nouvelle royauté.


Dernière édition par florence_yvonne le Dim 31 Oct 2010 - 17:42, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:41

Le Fils de l'homme

Benoît XVI nous explique d'entrée que « Fils de l'homme » - cette expression énigmatique est le titre que Jésus utilise le plus fréquemment, quand il parle de lui-même. Dans le seul Évangile de Marc « Fils de l'homme » apparaît 14 fois dans la bouche de Jésus. Et si l'on prend la totalité du Nouveau Testament, cette expression ne se trouve que dans la bouche de Jésus, à la seule exception de la vision d'Etienne mourant, à qui il est donné de voir les cieux ouverts : « Voici que je contemple les cieux ouverts : le Fils de l'homme est debout à la droite de Dieu » (Ac 7, 56). À l'instant de sa mort, Etienne voit ce que Jésus avait annoncé lors de son procès devant le sanhédrin : « Vous verrez le Fils de l'homme siéger à la droite du Tout-Puissant, et venir parmi les nuées du ciel » (Mc 14, 62). Ici, Etienne « cite » des paroles de Jésus, dont il a pu voir la réalité à l'heure de son martyre.

Ce constat est essentiel. La christologie des auteurs du Nouveau Testament comme des évangélistes eux-mêmes n'est pas fondée sur le titre de Fils de l'homme, mais sur les titres en usage dès le début de la vie de Jésus : « Messie » (Christ), Kyrios (« Seigneur »), « Fils de Dieu ». L'emploi du prédicat « Fils de l'homme » est caractéristique des propres paroles de Jésus. Son contenu est transféré sur les autres titres dans la prédication apostolique, sans que le titre lui-même soit repris. Il s'agit vraiment d'un constat parfaitement clair. Or il a donné lieu à un énorme débat dans l'exégèse moderne. Quiconque s'aventure sur ce terrain tombe sur un cimetière d'hypothèses contradictoires. Les discuter n'entre pas dans les intentions de ce livre. Il est néanmoins indispensable que nous considérions leurs lignes maîtresses.

Les utilisations de l'expression « Fils de l'homme » sont généralement subdivisées en trois groupes.

Le premier regrouperait les occurrences de l'expression désignant le Fils de l'homme à venir, que Jésus utiliserait non pour se qualifier lui-même, mais pour distinguer de lui-même cette figure à venir. Le deuxième groupe serait constitué d'affirmations sur l'activité terrestre du Fils de l'homme, tandis que le troisième parlerait de sa Passion et de sa Résurrection. La tendance exégétique dominante est de considérer que seul le premier groupe, si toutefois il y en a un, est celui des paroles authentiques de Jésus. Ce point de vue correspond à l'interprétation de la prédication de Jésus en termes d'imminence eschatologique. Le deuxième groupe, dont fait partie ce qui est dit de la toute-puissance du Fils de l'homme en matière de pardon des péchés, du fait qu'il est le maître du sabbat et qu'il n'a ni bien ni patrie, se serait constitué au sein de la tradition palestinienne, si on en croit une des lignes directrices de ces théories. En ce sens, il serait d'origine très ancienne, mais on ne saurait l'attribuer à Jésus lui-même. Le plus récent regrouperait les affirmations sur la Passion et la Résurrection du Fils de l'homme, qui rythment justement la montée de Jésus à Jérusalem dans l'Évangile de Marc et qui pourraient donc avoir été créées - peut-être même par l'évangéliste Marc en personne - après les événements eux-mêmes.

Ce découpage des occurrences de l'expression « Fils de l'homme » procède d'une logique distribuant très soigneusement les diverses acceptions d'un prédicat, et cette logique correspond au modèle rigoureux d'une pensée professorale, qui n'a rien à voir avec la diversité du vivant dans lequel une totalité complexe se fait entendre. Or le critère fondamental pour ce type d'exégèse est de savoir de quoi on estime Jésus capable, compte tenu de ses conditions de vie et de son horizon culturel. Apparemment son crédit est mince ! De vraies réflexions sur la gloire et la Passion ne s'accordent pas avec lui. Une sorte d'attente apocalyptique tiède, comme elle circulait à l'époque, peut être mise à son « crédit » - apparemment pas plus. Mais ce n'est pas ainsi qu'on peut rendre justice à la puissance de l'événement Jésus. Dans nos réflexions sur l'exégèse des paraboles que propose Jülicher, nous avions été obligé de dire que personne ne saurait être condamné à la croix pour des formulations moralisantes aussi modestes.

Pour qu'on en vienne à ce choc radical, note Benoît XVI, pour qu'on recoure à l'extrémité qui consistait à livrer Jésus aux Romains, il avait bien fallu que se produise et que se dise quelque chose de dramatique. Ce qu'il y a de scandaleux et de grand se situe justement au commencement, et l'Église naissante a dû faire un long chemin pour en mesurer toute la grandeur, pour la saisir progressivement dans un processus de « remémoration » réflexive. On crédite la communauté anonyme d'un génie théologique surprenant. Mais quelles furent donc les grandes figures capables d'une telle inventivité ? Non, ce qu'il y a de grand, de nouveau et de scandaleux est justement le fait de Jésus. Tout cela se développe dans la foi et la vie de la communauté, mais ce n'est pas là que cela est créé. Oui, la « communauté » ne se serait pas d'abord constituée et n'aurait pas survécu, si une réalité extraordinaire ne l'avait pas précédée.

L'expression « Fils de l'homme », utilisée par Jésus pour cacher son mystère et en même temps le livrer progressivement, était nouvelle et surprenante. Ce n'était pas un titre courant de l'espérance messianique. Elle convient parfaitement au style de prédication de Jésus, qui parle par énigmes et paraboles, essayant ainsi de rapprocher petit à petit ses auditeurs du mystère qui ne peut être réellement déchiffré qu'après, quand on le suit. En gros, l'expression « Fils de l'homme » signifie d'abord simplement « homme » dans l'usage linguistique hébreu et araméen. Le glissement entre le simple mot « homme » et l'énigmatique évocation d'une nouvelle conscience missionnaire dans l'expression « Fils de l'homme » apparaît dans une réflexion sur le sabbat que nous rencontrons dans les synoptiques. Voici la version de Marc : « Le sabbat a été fait pour l'homme, et non pas l'homme pour le sabbat. Voilà pourquoi le Fils de l'homme est maître, même du sabbat » (Mc 2, 27-28). Chez Matthieu et chez Luc, la première phrase manque. Chez eux, Jésus dit simplement : « Le Fils de l'homme est maître du sabbat » (Mt 12, 8 ; Le 6, 5). Peut-être peut-on ajouter que Matthieu et Luc ont écarté la première phrase parce qu'ils craignaient qu'elle soit détournée de son sens. Quoi qu'il en soit, il est évident que chez Matthieu et chez Luc les deux phrases vont ensemble et s'interprètent l'une par l'autre.

Que le sabbat soit fait pour l'homme et non pas l'homme pour le sabbat, n'est pas simplement l'expression d'une position moderne et libérale, comme nous le pensons spontanément à première lecture, explique Benoît XVI. En réfléchissant sur le Sermon sur la montagne, nous avons vu que ce n'était sûrement pas la bonne façon de comprendre l'enseignement de Jésus. Dans le « Fils de l'homme », l'homme se révèle comme il devrait être en réalité. A l'aune du « Fils de l'homme », à l'aune de Jésus, l'homme est libre et sait faire un bon usage du sabbat en tant que jour de la liberté venant de Dieu et pour Dieu. « Le Fils de l'homme est maître du sabbat » - toute la grandeur de l'ambition de Jésus, qui interprète la Loi de sa pleine autorité parce qu'il est lui-même le Verbe originel de Dieu, cette grandeur transparaît ici. Ce qui révèle aussi quel genre de liberté nouvelle est octroyée à l'homme en général, une liberté qui n'a rien à voir avec la simple gratuité. L'essentiel de ce commentaire du sabbat est l'interpénétration des deux, « homme » et « Fils de l'homme ». Nous voyons comment le terme en soi générique devient désormais l'expression de la dignité particulière de Jésus.

Le titre de « Fils de l'homme » n'existait pas en tant que titre à l'époque de Jésus. Mais, précise Benoît XVI, on peut sans doute en voir l'esquisse dans la vision de l'histoire universelle relatée par le Livre de Daniel avec les quatre bêtes et le « Fils d'homme ». Le visionnaire voit la succession des grands empires du monde dans l'image de quatre bêtes énormes sortant de la mer, venues « d'en bas », elles représentent un pouvoir reposant avant tout sur la violence, un pouvoir de nature « bestiale ». Daniel dresse donc un tableau sombre et extrêmement inquiétant de l'histoire du monde. Certes, la vision n'est pas seulement négative. La première bête est un lion avec des ailes d'aigle, à qui l'on arrache les ailes. Puis « elle fut soulevée de terre et dressée sur ses pieds, comme un homme, et un cœur d'homme lui fut donné » (Dn 7, 4). L'humanisation du pouvoir est possible, même en notre temps. Le pouvoir peut avoir un visage humain. Ce salut, pourtant, est relatif, l'histoire, pour le reste, continue et elle deviendra par la suite plus sombre encore.

Mais après ce pic extrême, qui voit culminer le pouvoir du mal, se produit quelque chose de tout à fait différent. Le visionnaire aperçoit, comme de loin, le vrai maître du monde sous la forme d'un vieillard qui met fin à l'apparition : « Et je voyais venir, avec les nuées du ciel, comme un Fils d'homme ; il parvint jusqu'au Vieillard, et on le fit avancer devant lui.

« Et il lui fut donné domination, gloire et royauté ; tous les peuples, toutes les nations et toutes les langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle, qui ne passera pas, et sa royauté, une royauté qui ne sera pas détruite » (Dn 7, 13-14). Face aux bêtes venues des profondeurs se dresse l'homme venu d'en haut. De même que les bêtes des profondeurs incarnent les empires qui se sont succédé dans le monde, de même l'image du « Fils d'homme » qui arrive « sur les nuées du ciel » annonce un royaume absolument nouveau, un royaume d'« humanité », du pouvoir véritable venant de Dieu lui-même. Par ce royaume se manifeste la véritable universalité, la figure ultime de l'histoire, sa figure positive, qui a toujours été désirée en secret. Le « Fils d'homme », qui vient d'en haut, est ainsi celui qui se dresse en face des bêtes venues des profondeurs de la mer. En tant que tel, il ne symbolise pas une figure individuelle, mais il est la représentation du « royaume » dans lequel le monde parviendra à son but.

Beaucoup d'exégètes supposent qu'il pourrait y avoir derrière ce texte une version où le « Fils d'homme » était aussi une figure individuelle, mais, quoi qu'il en soit, nous ne connaissons pas cette version et elle demeure une hypothèse. Les textes souvent cités de IV Esdras 13 et de l'Éthiopien Hénoch, dans lesquels le Fils de l'homme est représenté comme une figure individuelle, sont plus récents que le Nouveau Testament et ne peuvent donc être considérés comme une de ses sources. Il était naturellement facile de relier la vision du Fils de l'homme avec l'espérance messianique et la figure du Messie, mais nous ne disposons pas, pour ce faire, de texte antérieur à l'activité de Jésus, En tout cas, c'est le futur royaume du salut qui est représenté par cette image du Fils de l'homme, vision que Jésus pouvait reprendre, mais à laquelle il a donné une nouvelle forme en reliant cette attente à lui-même et à son activité.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:43

Il n'y a qu'un seul Fils de l'homme et c'est Jésus

Tournons-nous à présent vers les paroles de Jésus. Nous avons vu qu'un premier groupe d'affirmations sur le Fils de l'homme se rapporte à sa venue future. La majeure partie de ces affirmations se trouve dans le discours de Jésus sur la fin du monde (cf. Mc 13, 24-27) et dans son procès devant le sanhédrin (cf. Mc 14, 62). Elles seront donc abordées dans le tome 2 de ce livre, précise Benoît XVI (qui a annoncé son prochain ouvrage, pour après l'été, sans en préciser de date). Il y a juste un point important, expose Benoît XVI, sur lequel je voudrais d'ores et déjà attirer l'attention : ce sont des paroles consacrées à la future gloire de Jésus, à sa venue pour le jugement, et pour le rassemblement des justes, des « élus ». Mais il ne faut pas oublier qu'elles sont prononcées par celui qui comparaît devant ses juges en tant qu'accusé soumis aux railleries, et qu'ainsi la gloire et la passion sont inextricablement mêlées dans ces paroles.

Certes, il n'est pas question de la Passion, mais c'est la réalité dans laquelle Jésus se trouve et parle. Tout cela se retrouve particulièrement concentré dans la parabole du Jugement dernier rapportée chez Matthieu (cf. 25, 31-46). Le « Fils de l'homme » qui juge s'identifie avec ceux qui ont faim et soif, avec les étrangers, avec ceux qui sont nus, malades ou prisonniers, bref avec tous ceux qui souffrent dans le monde, et qualifie le comportement à leur égard de comportement à son égard à lui. Ce n'est pas une fiction du juge universel inventée après coup. En devenant homme, il a opéré cette identification jusqu'au détail le plus concret. Il est celui qui n'a ni bien ni patrie, celui qui n'a pas où reposer sa tête (cf. Mt 8, 20 ; Lc 9, 58). Il est le prisonnier, l'accusé, et il meurt nu sur la croix. L'identification du Fils de l'homme jugeant les nations avec les malheureux de toutes sortes présuppose l'identification du Juge avec le Jésus terrestre et montre l'unité interne entre la croix et la gloire, de l'existence terrestre dans l'humilité et du pouvoir futur de juger le monde. Il n'y a qu'un seul Fils de l'homme et c'est Jésus. Cette identité nous montre le chemin, nous montre la norme à l'aune de laquelle notre vie, un jour, sera jugée.

Bien entendu, toutes ces paroles au sujet du futur Fils de l'homme ne sont pas considérées par la critique comme d'authentiques paroles de Jésus. Seuls deux textes de ce groupe, dans la version qu'en donne Luc, sont classés, tout du moins par une partie de l'exégèse critique, parmi les paroles authentiques de Jésus, celles dont on « l'estime capable ». Voici tout d'abord le premier texte (Lc 12, 8-9) : « Je vous le déclare : celui qui se sera prononcé pour moi devant les hommes, le Fils de l'homme se prononcera aussi pour lui devant les anges de Dieu. Mais celui qui m'aura renié en face des hommes sera renié en face des anges de Dieu. » Le second texte se trouve dans le chapitre 17, versets 24 et 25 : « Comme l'éclair qui jaillit illumine l'horizon d'un bout à l'autre, ainsi le Fils de l'homme, quand son jour sera là. Mais auparavant, il faut qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération. » Si ces textes trouvent grâce auprès de la critique, rapporte Benoît XVI, c'est qu'ils paraissent faire une distinction entre le Fils de l'homme et Jésus. En particulier dans le premier, le Fils de l'homme ne serait visiblement pas identique au Jésus qui s'exprime.

Sur ce point, il faut d'abord dire qu'en tout cas ce n'est pas comme cela que l'a compris la tradition la plus ancienne. Dans le texte parallèle de Marc 8, 38 (« Si quelqu'un a honte de moi et de mes paroles dans cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père avec les anges »), l'identification n'est pas explicitement énoncée, mais la construction de la phrase ne permet pas de la rejeter. Même si l'expression « Fils de l'homme » est absente dans la version du même texte chez Matthieu, l'identité entre le Jésus terrestre et le Juge futur n'en est que plus manifeste : « Mais celui qui me reniera devant les hommes, moi aussi je le renierai devant mon Père qui est aux deux » (Mt 10, 33). Mais même dans le texte de Luc, l'identité est parfaitement claire si l'on part de l'orientation générale du contenu. Certes, Jésus parle en recourant à la forme énigmatique qui lui est propre et qui laisse à l'auditeur le soin de faire le dernier pas pour comprendre. Mais l'identification fonctionnelle résultant du parallélisme entre profession de foi et reniement, maintenant et pendant le jugement, devant Jésus et devant le Fils de l'homme, n'a de sens que sur la base de l'identité ontologique.

Les juges du sanhédrin ont parfaitement compris Jésus, et Jésus ne les a pas non plus corrigés, alors qu'il aurait pu dire par exemple : mais vous me comprenez mal, le Fils de l'homme à venir est quelqu'un d'autre. L'unité interne entre la Kénose vécue de Jésus (cf. Ph 2, 5-11) et sa venue dans la gloire est le thème constant de l'action et de la parole de Jésus, sa vraie nouveauté, ce qui est « authentiquement de Jésus », ce qui n'a pas été inventé et qui constitue donc la particularité propre à sa figure et à ses paroles. Les différents textes font bien partie de ce contexte, et on ne les comprend pas mieux si on les en extrait. Encore plus que dans les versets 8 et 9 du chapitre 12 de Luc, qui fournissent sans doute le meilleur point de départ pour une telle opération, c'est dans le second texte (Le 17, 24ss) que le lien est le plus clairement établi. Le Fils de l'homme ne viendra pas ici ou là, mais, comme l'éclair qui jaillit, il illuminera pour tous l'horizon d'un bout à l'autre, de sorte que tous auront les yeux fixés sur lui, lui qui a été transpercé (cf. Ap 1,7). Mais auparavant, lui justement, puisqu'il est le Fils de l'homme, est obligé d'endurer de multiples souffrances et de multiples rejets. Prophétie de la passion et annonce de la gloire ne sauraient être dissociées. Il est évident que les deux sont le fait d'une seule et même personne, celle qui est précisément déjà en route vers sa Passion lorsqu'il prononce ces mots.

Quand Jésus parle de son activité présente, ses paroles ont également ces deux aspects. Nous avons déjà brièvement commenté la formule selon laquelle le Fils de l'homme est maître même du sabbat (cf. Mc 2, 28). Ce passage montre exactement ce que Marc relate ainsi à un autre endroit : « On était frappé par son enseignement, car il enseignait en homme qui a autorité et non pas comme les scribes» (Mc 1, 22). Il se place lui-même du côté du Législateur, de Dieu. Il n'est pas un interprète, il est Maître et Seigneur.

Comme l'évoque Benoît XVI, cela est encore plus patent dans l'histoire du paralytique que ses amis ont allongé sur un brancard qu'ils ont descendu du toit pour le déposer aux pieds du Seigneur. Au lieu de prononcer une parole de guérison comme l'attendaient le paralytique et ses amis, Jésus commence par dire au malade : « Mon fils, tes péchés sont pardonnes » (Mc 2, 5). Mais remettre les péchés est uniquement l'affaire de Dieu, objectent les scribes avec raison. Quand Jésus attribue cette autorité et ce pouvoir au « Fils de l'homme », il revendique pour lui-même une dignité égale à celle de Dieu et le pouvoir d'agir en fonction d'elle. C'est uniquement après la remise des péchés que vient la parole espérée : « Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de pardonner les péchés sur la terre, je te l'ordonne, dit-il au paralysé : Lève-toi, prends ton brancard et rentre chez toi » (Mc 2, 10-11). C'est précisément cette prétention divine qui mène à la Passion. En ce sens, les paroles d'autorité de Jésus sont orientées vers la Passion.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:43

Le Fils

Au début de ce chapitre, nous avons déjà vu rapidement qu'il ne faut pas confondre le titre de « Fils de Dieu » et celui de « Fils » (sans ajout). Benoît XVI nous explique qu'ils n'ont pas du tout la même origine ni la même signification, même si les deux significations s'interpénètrent et finissent par se confondre à mesure que la foi chrétienne prend forme. Comme j'ai déjà traité abondamment toute cette question dans Foi chrétienne hier et aujourd'hui, je peux rester bref dans mon analyse du terme « Fils de Dieu ».

L'expression « Fils de Dieu » provient de la théologie politique de l'Orient ancien. En Égypte comme à Babylone, on donnait au roi le titre de « fils de dieu ». Le rituel de l'accession au trône est considéré comme un « engendrement » qui le fait fils de dieu. En Égypte, cet engendrement était sans doute compris au sens d'une mystérieuse origine divine, tandis qu'à Babylone, à ce qu'il semble, on le comprenait déjà de façon beaucoup plus sobre comme un acte juridique, une adoption divine. Ces représentations ont été adoptées en Israël d'une double façon, tout en étant transformées par la foi d'Israël. Dieu lui-même charge Moïse de dire au pharaon : « Ainsi parle Yahvé : mon fils premier-né, c'est Israël. Je t'avais dit : Laisse aller mon fils, qu'il me serve ! » (Ex 4, 22-23). Les nations sont la grande famille de Dieu, Israël est le « fils premier-né », en tant que tel lié à Dieu de façon particulière, avec tout ce que « premier-né » signifie dans l'Orient ancien. À mesure que le royaume de David se renforce, c'est l'idéologie royale de l'Orient ancien que l'on reporte à présent sur le roi de la montagne de Sion.

Dans le discours de Dieu, dans lequel Nathan prédit à David la stabilité éternelle pour sa maison, on trouve ces mots : « Je te donnerai un successeur dans ta descendance, qui sera né de toi, et je rendrai stable sa royauté... Je serai pour lui un père, il sera pour moi un fils. S'il fait le mal, je le corrigerai... Mais mon amour ne lui sera pas retiré » (2 S 7, 12.14-15 ; cf. PS 89 [88], 27s, 37s). C'est là-dessus que sera fondé le rite d'intronisation des rois d'Israël, que nous rencontrons dans le Psaume 2, 7-8 : « Je proclame le décret du Seigneur ! Il m'a dit : "Tu es mon fils ; moi, aujourd'hui, je t'ai engendré. Demande, et je te donne en héritage les nations, pour domaine la terre tout entière." » Trois points sont particulièrement évidents ici, relève Benoît XVI. Le privilège qu'a Israël d'être le fils premier-né de Dieu se voit concrétisé dans la figure du-roi, et ce dernier personnifie la dignité d'Israël. Cela signifie, deuxièmement, que l'antique idéologie royale, l'engendrement mythique à partir de Dieu, se voit écartée au profit d'une théologie de l'élection. L'« engendrement » devient élection. Dans l'aujourd'hui de l'acte d'intronisation se concentre l'action élective de Dieu, dans laquelle il fait d'Israël et du roi qui le personnifie son « fils ». Mais ce qui apparaît en troisième lieu, c'est que la promesse de la domination sur tous les peuples, empruntée aux grands rois de l'Orient, est totalement disproportionnée par rapport à la situation réelle du roi du mont Sion. Ce n'est qu'un très modeste souverain disposant d'un pouvoir instable qui finit en exil et n'a pu être rétabli par la suite que pour une période assez brève et dans un état de dépendance par rapport aux grandes puissances. Ainsi l'oracle royal de Sion devait d'emblée devenir une parole d'espérance dans le roi à venir, qui allait bien au-delà de l'instant et de l'« aujourd'hui », du maintenant du roi intronisé.

Le christianisme primitif a adopté ce mot très tôt et en a vu la réalisation dans la Résurrection de Jésus. Selon les Actes des apôtres (13, 32-33), Paul explique aux Juifs rassemblés à la synagogue d'Antioche de Pisidie, dans sa grandiose présentation de l'histoire du salut qui aboutit au Christ : « La promesse que Dieu avait faite à nos pères, il l'a entièrement accomplie pour nous, leurs enfants, en ressuscitant Jésus ; c'est ce qui est écrit au psaume deuxième : Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré. » Nous sommes certainement fondés à considérer le discours que nous transmettent ici les Actes des apôtres comme un modèle de la première prédication missionnaire adressée aux Juifs, affirme Benoît XVI, dans laquelle nous rencontrons la lecture christologique de l'Ancien Testament que fait l'Église naissante. Nous avons affaire ici à la troisième étape de la transformation de la théologie politique de l'Orient ancien : si, en Israël et dans le royaume de David, cette théologie politique avait fusionné avec la théologie de l'élection de l'Ancienne Alliance et si, au cours de l'évolution du royaume davidique, elle était devenue de plus en plus l'expression de l'espérance du roi futur, c'est à présent la Résurrection de Jésus que l'on croit être l'aujourd'hui espéré du Psaume. Maintenant Dieu a constitué son roi, à qui il a en effet remis les peuples en héritage.

Mais cette « seigneurie » sur les peuples de la terre n'a plus aucun caractère politique. Ce roi ne brise plus les peuples avec son sceptre de fer (cf. PS 2, 9), il règne désormais à partir de la croix, sur un mode tout à fait nouveau. L'universalité s'accomplit sur le mode humble de la communion dans la foi, ce roi règne par l'intermédiaire de la foi et de l'amour, pas autrement. Et l'on peut ainsi comprendre d'une façon tout à fait nouvelle et définitive la parole de Dieu : Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré. Le titre « Fils de Dieu » se détache de la sphère du pouvoir politique et devient l'expression d'une union particulière avec Dieu, qui se manifeste dans la crucifixion et la Résurrection. Quelle profondeur atteint cette unité, cette condition de Fils de Dieu, cela ne peut évidemment s'expliquer à partir de ce contexte vétérotestamentaire. D'autres courants de la foi biblique et du propre témoignage de Jésus doivent s'associer pour donner à l'expression toute sa signification.

Mais avant de passer au simple titre de « Fils » que Jésus se donne à lui-même, désignation qui confère au titre de « Fils de Dieu » provenant de la sphère politique sa signification ultime, qui est chrétienne, il nous reste encore à mener jusqu'au bout l'histoire, même du terme. En fait partie, le fait que l'empereur Auguste, sous le règne duquel Jésus était né, avait transposé à Rome l'antique théologie royale orientale en se proclamant lui-même « Fils du divin » (César), fils de Dieu (P. Wulfing v. Martitz, in ThWNT VIII, p. 334-340, en particulier p. 336). Si Auguste procède encore avec beaucoup de prudence, le culte impérial romain, qui commence peu de temps après, signifie que la prétention à une filiation divine et donc à l'adoration divine de l'empereur est désormais adoptée par Rome et qu'elle devient la règle dans la totalité de l'Empire.

C'est ainsi qu'à ce moment de l'histoire on voit se rencontrer la prétention à la royauté divine de la part de l'empereur romain et la foi chrétienne selon laquelle le Christ ressuscité est le véritable Fils de Dieu, à qui sont soumis les peuples de la terre et qui a seul le droit de recevoir l'adoration divine dans l'unité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. La foi chrétienne, en elle-même apolitique, ne revendique pas le pouvoir politique, mais elle reconnaît l'autorité légitime (cf. Rm 13, 1-7). Dans le titre de « Fils de Dieu », elle se heurte inévitablement à la revendication du caractère totalitaire du pouvoir politique impérial et elle se heurtera toujours à toutes les puissances politiques totalitaires ; elle poussera alors au martyre en raison de la situation, en communion avec le Crucifié, qui règne, lui, uniquement « par le bois ».

Il faut, encore une fois, opérer une stricte distinction entre le titre de « Fils de Dieu », dont la genèse est complexe, et le simple titre « le Fils » que nous rencontrons pour l'essentiel dans la bouche de Jésus. En dehors de l'Évangile, il apparaît cinq fois dans la Lettre aux Hébreux (cf. 1, 2. 8 ; 3, 6 ; 5, 8 ; 7, 28), qui est très proche de l'Évangile de Jean, et une fois chez Paul (cf. 1 Co 15, 28). Rattaché au témoignage de Jésus sur lui-même chez Jean, on le trouve cinq fois dans la première Lettre de saint Jean et une fois dans la seconde, fait remarquer Benoît XVI. Décisif est le témoignage de l'Évangile de Jean (nous l'y trouvons 18 fois) et le cri d'allégresse messianique rapporté par Matthieu (cf. 11, 27) et par Luc (cf. 10, 22), que l'on considère volontiers - et à bon droit - comme un texte johannique dans le cadre de la tradition synoptique. Examinons d'abord cette jubilation messianique : « En ce temps-là, Jésus prit la parole : "Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants tu l'as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l'as voulu ainsi dans ta bonté. Tout m'a été confié par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui à qui le Fils veut le révéler" » (Mt 11, 25-27 ; cf. Le 10, 21-22).

Commençons par cette dernière phrase qui est la clé de tout. Seul le Fils « connaît » réellement le Père : la connaissance présuppose toujours plus ou moins quelque chose comme l'égalité. On connaît la formulation de Goethe dans le contexte d'une citation de Plotin : « Si l'œil n'était pas solaire, il ne pourrait pas connaître le soleil. » Tout processus de connaissance inclut toujours, sous une forme ou sous une autre, un processus d'assimilation, une sorte d'unification interne entre celui qui cherche à connaître et l'objet de sa recherche, qui varie en fonction du niveau ontologique du sujet connaissant et de l'objet à connaître. Connaître réellement Dieu présuppose la communion avec Dieu, voire l'union ontologique avec Dieu. Dans sa prière de louange, le Seigneur nous dit exactement la même chose que ce qui figure à la fin du prologue de Jean que nous avons déjà médité à plusieurs reprises : « Dieu, personne ne l'a jamais vu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui a conduit à le connaître » (Jn 1,18). Cette parole fondamentale est, comme nous le voyons maintenant, l'explication de ce qui apparaît dans la prière de Jésus, dans son dialogue filial. En même temps, apparaît ici distinctement qui est « le Fils », ce que ce terme signifie : l'accomplissement d'une communion de connaissance qui est en même temps communion ontologique. L'unité de la connaissance n'est possible que parce qu'elle est unité de l'être.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:44

Seul le « Fils » connaît réellement le Père, et connaître réellement le Père, c'est toujours participer à la connaissance du Fils, c'est la révélation qu'il nous donne (« c'est lui qui l'a fait connaître », dit Jean). Connaît le Père seulement celui à qui le Fils « veut le révéler ». Mais à qui le Fils veut-il donc le révéler ? La volonté du Fils n'est pas arbitraire. Les paroles témoignant de la volonté de révélation du Fils en Matthieu 11 (25-27) renvoient au verset 25, où le Seigneur dit au Père : tu l'as révélé aux tout-petits. Si c'est la communion de connaissance entre le Père et le Fils que nous avons d'abord rencontrée, c'est leur unité de vouloir qui se manifeste dans le contexte des versets 25 et 27.

La volonté du Fils ne fait qu'un avec la volonté du Père. Il s'agit d'ailleurs là d'un thème récurrent dans les Évangiles. L'Évangile de Jean, souligne avec une insistance particulière que Jésus adhère sans réserve à la volonté du Père. Une représentation particulièrement dramatique de l'adhésion et de la fusion des deux volontés nous est donnée dans l'épisode du mont des Oliviers, où Jésus attire jusqu'à lui la volonté humaine, où il la fait entrer dans sa propre volonté de Fils et ainsi dans l'unité de volonté avec le Père. C'est sur ce terrain qu'il faut situer la deuxième demande du Notre Père : avec elle nous demandons que le drame du mont des Oliviers, du combat de toute la vie de Jésus et de tout son ministère s'accomplisse en nous, qu'avec lui, le Fils, nous adhérions à la volonté du Père et qu'ainsi nous devenions nous-mêmes des fils - dans une unité de volonté, qui devient unité de connaissance.

Cela nous éclaire maintenant sur le début du cri d'allégresse, qui peut choquer au premier abord. Le Fils veut attirer dans sa connaissance filiale tous ceux que le Père veut y rendre participants : « Personne ne peut venir à moi, si le Père qui m'a envoyé ne l'attire vers moi », dit Jésus en ce sens dans son discours sur le pain à la synagogue de Capharnaüm (Jn 6, 44). Mais qui le Père désigne-t-il ? « Ni les sages ni les savants », nous dit le Seigneur, mais les simples.

C'est de prime abord l'expression pure et simple de l'expérience concrète faite par Jésus : ce ne sont pas les scribes, ceux qui font profession de s'occuper de Dieu, ce ne sont pas ceux-là qui le connaissent, car ils sont empêtrés dans le maquis des détails de leurs connaissances. Regarder simplement le tout, regarder la réalité de Dieu lui-même telle qu'elle se révèle, cela leur est interdit par toute leur science qui leur obstrue la vue - cela peut justement paraître trop simple pour celui qui connaît si bien la complexité des problèmes. Paul a témoigné de la même expérience sur laquelle il a continué à réfléchir : « Car le langage de la croix est folie pour ceux qui vont vers leur perte, mais pour ceux qui vont vers leur salut, pour nous, il est puissance de Dieu. L'Écriture dit en effet : La sagesse des sages, je la mènerai à sa perte, et je rejetterai l'intelligence des intelligents [cf. Is 29, 14]... Frères, vous qui avez été appelés par Dieu, regardez bien : parmi vous, il n'y a pas beaucoup de sages aux yeux des hommes, ni de gens puissants ou de haute naissance. Au contraire, ce qu'il y a de fou dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion les sages ; ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour couvrir de confusion ce qui est fort... afin que personne ne puisse s'enorgueillir devant Dieu » (1 Co 1, 18-29). « Que personne ne s'y trompe : si quelqu'un parmi vous pense être un sage à la manière d'ici-bas, qu'il devienne fou pour devenir sage » (1 Co 3, 18). Mais qu'en est-il de cette « folie », de cette simplicité des « tout-petits » qui ouvre l'homme à l'accueil de la volonté et ainsi à la connaissance de Dieu ?

Le Sermon sur la montagne nous donne la clé qui permet d'accéder au fondement interne de cette expérience singulière et de suivre le chemin de la conversion, de l'ouverture à l'intégration dans la connaissance filiale : « Heureux les cœurs purs, ils verront Dieu » (Mt 5, 8). C'est la pureté du cœur qui permet de voir. Voilà l'ultime simplicité qui ouvre notre vie pour qu'elle accueille la volonté de révélation de Jésus. On pourrait également dire : notre volonté doit devenir volonté du Fils. Alors nous sommes capables de voir. Mais être fils signifie être en relation, c'est en effet une notion de relation. Cela signifie qu'on abandonne l'autonomie qui s'enferme en elle-même. Cela implique ce que dit Jésus en parlant de devenir enfant. Ainsi nous comprenons également le paradoxe que l'Évangile de Jean amplifie : d'un côté, Jésus se subordonne totalement au Père en tant que Fils, de l'autre, c'est justement pour cela qu'il est dans un rapport d'égalité totale avec le Père, qu'il est vraiment son égal, qu'il ne fait qu'un avec lui.

Revenons au cri d'allégresse. Cette égalité que nous avons trouvée formulée en Matthieu (11, 25-27) en tant qu'union dans la volonté et la connaissance, la première moitié du verset 27 la relie à la mission universelle de Jésus et la rapporte ainsi à l'histoire universelle : « Tout m'a été confié par mon Père. » Si nous considérons le cri d'allégresse des synoptiques dans toute sa profondeur, il apparaît qu'en effet il contient déjà toute la théologie johannique du Fils. Là aussi, relève Benoît XVI, la condition de Fils est une connaissance réciproque et l'unité dans la volonté. Là aussi le Père est celui qui donne, et qui a « tout » remis au Fils et qui a ainsi fait le Fils égal à lui-même : « Et tout ce qui est à moi est à toi, comme tout ce qui est à toi est à moi » (Jn 17, 10). Et là aussi ce « don » fait par le Père rejoint sa création, le « monde » : « Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique » (3, 16). Le mot « unique » renvoie d'un côté au prologue, où le Logos est dit «le fils unique - monogenes theos» (1, 18). Mais d'autre part, il rappelle aussi Abraham, qui n'a pas refusé son fils, le fils « unique », à Dieu (cf. Gn 22, 2.12). Le « don » du Père se parachève dans l'amour du fils jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1), c'est-à-dire jusqu'à la croix. Le mystère trinitaire de l'amour, qui apparaît dans le titre « le Fils », ne fait qu'un avec le mystère d'amour dans l'histoire, qui s'accomplit dans la Pâque de Jésus.

Enfin, dans l'Évangile de Jean aussi, le titre « le Fils » trouve sa place dans la prière de Jésus qui est, bien entendu, différente de la prière de la créature : c'est le dialogue de l'amour en Dieu lui-même — le dialogue, qui est Dieu. Ainsi au titre de « fils » correspond la simple formule d'interpellation « Père », dont l'évangéliste Marc a conservé la version originelle araméenne « Abba » dans la scène du mont des Oliviers.

Joachim Jeremias a consacré des études détaillées montrant la singularité de cette façon qu'a Jésus de s'adresser à Dieu, car elle dénote une familiarité qui était impensable dans le monde de Jésus. Ce qui s'exprime en elle, c'est « l'unicité » du « Fils ». Paul nous fait savoir que les chrétiens, en raison de leur participation à l'Esprit du Fils qui leur est donné par Jésus, sont autorisés à dire : « Abba, Père » (cf. Rm 8, 15 ; Ga 4, 6). Cela montre clairement que cette nouvelle façon de prier des chrétiens n'est justement possible qu'à partir de Jésus, à partir de lui - l'Unique.

Le titre Fils avec son pendant Pere-Abba nous fait vraiment entrevoir l'intimité de Jésus, et plus encore l'intimité de Dieu lui-même. La prière de Jésus est la véritable origine de ce titre « le Fils ». Elle n'a aucun précédent dans l'histoire, de même que le Fils lui-même « est nouveau », bien que Moïse et les prophètes se réunissent en lui. La tentative de construire des antécédents préchrétiens, « gnostiques », pour cette expression à partir de la littérature postbiblique, par exemple les Odes de Salomon (IIe siècle ap. J.-C.), et d'établir une dépendance de Jean par rapport à elle, est privée de sens, quand on respecte un tant soit peu les possibilités et les limites de la méthode historique. Telle est l'originalité de Jésus. Lui seul est « le Fils ».
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:44

«Je suis »

Dans les paroles de Jésus transmises par les Évangiles, il y a - majoritairement chez Jean, mais aussi chez les synoptiques, même s'il s'agit de formulations moins précises et moins nombreuses - le groupe des expressions « Je suis », et sous deux formes. Dans un cas, précise Benoît XVI, Jésus dit simplement, sans aucun ajout : « Moi, Je Suis », ou « que Je Suis ». Dans le second groupe, le contenu du « Je suis » est précisé sous forme d'images : Je suis la lumière du monde, la vraie vigne, le bon pasteur, etc. Si ce second groupe ne pose de prime abord aucun problème de compréhension, le premier groupe apparaît d'autant plus énigmatique.

Je me contenterai de traiter trois passages de ce groupe tirés de Jean, dans lesquels la formule apparaît sous sa forme tout à fait simple et rigoureuse, pour passer ensuite à une expression des synoptiques qui a un parallèle évident chez Jean.

Les deux passages les plus importants à cet égard se trouvent dans la discussion de Jésus à la suite des paroles qu'il prononce à la fête des Tentes, où il s'est présenté lui-même comme une source d'eau vive (cf. Jn 7, 37-39). Ceci provoque des dissensions au sein de la foule, certains se demandant s'il n'était pas finalement le prophète tant attendu, d'autres objectant qu'aucun prophète ne pouvait venir de Galilée (cf. Jn 7, 40.52). Sur quoi Jésus leur dit : « Vous, vous ne savez ni d'où je viens, ni où je m'en vais... Vous ne connaissez ni moi ni mon Père » (Jn 8, 14. 19). Il précise encore en ajoutant : « Vous, vous êtes d'en bas ; moi, je suis d'en haut. Vous êtes de ce monde ; moi, je ne suis pas de ce monde » (Jn 8, 23). Puis vient la phrase décisive : « Si vous ne croyez pas que moi, JE SUIS, vous mourrez dans vos péchés » (Jn 8, 24).

Que veut dire cela ? Nous aimerions demander : mais qu'est-ce que tu es ? Qui es-tu ? Et en effet, voici la question des Juifs : « Qui es-tu ? » (8, 25). Qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire - « que moi, JE SUIS » ? L'exégèse s'est naturellement mise à rechercher les origines de cette expression, afin de pouvoir la comprendre, et Benoît XVI observe que nous sommes obligés de faire de même dans notre quête de sens. Plusieurs sources ont été évoquées : les discours de révélation typiques de l'Orient (E. Norden), les écrits des mandéens (E. Schweizer), mais tous sont beaucoup plus récents que les livres du Nouveau Testament.

Entre-temps, l'idée s'est largement imposée que nous ne devrions pas chercher le terreau spirituel de ce langage ailleurs que dans le monde familier de Jésus : l'Ancien Testament et le judaïsme dans lequel il vivait. Nous n'avons pas besoin de recourir au vaste arrière-plan des textes de l'Ancien Testament, que les chercheurs ont reconstitué dans l'intervalle. Je me contenterai de citer les deux textes essentiels, ceux qui importent avant tout.

Commençons par Exode 3, 14, l'épisode du Buisson ardent, d'où Dieu appelle Moïse, qui demande à son tour à ce Dieu qui l'appelle : comment t'appelles-tu ? En fait de réponse, c'est le nom énigmatique de « YHWH » qui est livré à Moïse, un nom dont la signification est interprétée par Dieu lui-même avec cette phrase non moins énigmatique : « Je suis celui qui suis. » Laissons de côté les nombreuses et diverses interprétations dont cette phrase a fait l'objet. Il n'en demeure pas moins que ce Dieu se désigne lui-même simplement comme « Je suis ». Il est purement et simplement. Et cela signifie bien entendu aussi qu'il est toujours présent pour les hommes, hier, aujourd'hui, demain.

À l'heure solennelle de l'espérance d'un nouvel exode à la fin de l'exil babylonien, le Deutéro-Isaïe a repris et développé le message du Buisson ardent. « C'est vous qui êtes mes témoins, oracle de Yahvé, vous êtes le serviteur que je me suis choisi, afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que c'est moi : avant moi aucun Dieu n'a été formé et après moi il n'y en aura pas. Moi, c'est moi Yahvé, et en dehors de moi il n'y a pas de sauveur» (Is 43, 10-12). «Afin que vous le sachiez, que vous croyiez en moi et que vous compreniez que c'est moi » l'antique formulation « "ani" Yahvé» est maintenant raccourcie en « "ani" hu » - moi lui, Je suis. Le « Je suis » est devenu plus ferme, et bien que le mystère demeure, plus clair.

A l'époque où Israël n'avait plus ni terre ni Temple, Dieu, selon la conception traditionnelle, s'était retiré de la concurrence entre les divinités, car un dieu qui n'avait pas de terre, et qui ne pouvait donc pas être honoré, évoque Benoît XVI, ne pouvait être un dieu. À cette époque, Israël avait appris à comprendre pleinement la différence et la nouveauté de son Dieu : précisément qu'il n'était pas seulement « son » Dieu, le Dieu d'un peuple et d'un pays, mais le Dieu par excellence, le Dieu de l'univers, à qui appartiennent tous les pays, le ciel et la terre, le Dieu qui dispose de tous, le Dieu qui n'a pas besoin qu'on l'honore en lui sacrifiant des boucs et des taureaux, mais simplement en agissant comme il convient.

Encore une fois : Israël avait compris que son Dieu était « Dieu » par excellence. C'est ainsi que le « JE SUIS » du Buisson ardent avait trouvé une signification nouvelle : ce Dieu est, tout simplement. Étant celui qui est il se présente justement dans son unicité dans la formule « Je suis ». C'est certainement, relève Benoît XVI, une façon de se démarquer des nombreuses divinités qui existaient à l'époque, mais c'est surtout, de façon tout à fait positive, la manifestation de son unicité et de sa singularité indescriptibles.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:45

Avant qu'Abraham ait existé, moi, JE SUIS

Quand Jésus dit « Je suis », il adopte cette histoire et la rapporte à lui-même. Il manifeste son unicité. En lui, c'est le mystère du Dieu unique qui est personnellement présent.

« Moi et le Père sommes un » Heinrich Zimmermann souligne à juste titre qu'avec ce « Je suis », Jésus ne se situe pas à côté du Je du Père, mais qu'il renvoie au Père (H. Zimmermann, TThZ 69, p. 6). Or c'est justement comme cela qu'il parle aussi de lui-même. Il s'agit précisément du fait que, le Père et le Fils sont indissociables. Parce qu'il est le Fils, il peut reprendre à son compte la présentation que le Père fait de lui-même : « Celui qui m'a vu a vu le Père » (Jn 14, 9). Parce qu'il en est ainsi, nous confie Benoît XVI, il peut reprendre à son compte en tant que Fils la parole de révélation du Père.

Toute la discussion dans laquelle s'insère ce verset tourne justement autour de l'unité du Père et du Fils. Pour bien comprendre, nous devons avant tout nous souvenir de ce que nous avons observé à propos du titre « le Fils », de son ancrage dans le dialogue entre le Père et le Fils. Nous avions vu que Jésus est entièrement « relationnel », qu'il n'est, dans tout son être, que relation au Père. C'est à partir de cette nature relationnelle qu'il faut comprendre la formulation du Buisson ardent et d'Isaïe. Le « Je suis » se situe totalement dans la nature relationnelle entre le Père et le Fils.

À la suite de la question des Juifs, qui est aussi la nôtre, indique Benoît XVI, « Qui es-tu ? », Jésus commence par se référer à celui qui l'a envoyé et au nom duquel il s'adresse au monde. Il répète une fois encore la formule de la Révélation, le « Je suis », qu'il étend maintenant à l'histoire future. « Quand vous aurez élevé le Fils de l'homme, alors vous comprendrez que moi, JE SUIS » (Jn 8, 28). Sur la croix, on peut reconnaître sa condition de Fils, et son unité avec le Père. La croix est le vrai « sommet ». C'est le sommet de l'amour « jusqu'au bout » (Jn 13, 1). Sur la croix, Jésus est « au sommet », à la même hauteur que Dieu qui est amour. C'est là qu'on peut le « connaître », qu'on peut comprendre le « Je Suis ».

Le Buisson ardent, c'est la croix. La plus haute prétention de révélation, le « Je Suis » et la croix de Jésus sont indissociables. Il ne s'agit pas ici de spéculation métaphysique, souligne Benoît XVI, car ce qui se manifeste, c'est la réalité de Dieu au cœur de l'histoire, pour nous. « Alors vous comprendrez que moi, Je Suis » - quand cet « alors » sera-t-il réalisé ? Il ne cesse de se réaliser dans l'histoire, et pour commencer au jour de la Pentecôte, où les Juifs furent bouleversés en entendant le discours de Pierre (cf. Ac 2, 37), si bien que, selon le récit des Actes, trois mille personnes se firent baptiser et rejoignirent la communauté (cf. Ac 2, 4l). Ce dont parle le voyant de l'Apocalypse se réalisera pleinement à la fin de l'histoire : « Et tous les hommes le verront, même ceux qui l'ont transpercé » (Ap 1,7).

À la fin de la discussion du chapitre 8, examine Benoît XVI, apparaît encore une fois le « Je suis » de Jésus, élargi et interprété cette fois dans une autre direction. On est toujours en présence de la question « Qui es-tu ? », qui implique en même temps la question « D'où viens-tu ? ». Du coup, on en vient à parler de la descendance des Juifs à partir d'Abraham, et pour finir de la paternité de Dieu lui-même : « Notre père c'est Abraham... Nous ne sommes pas des enfants illégitimes ! Nous n'avons qu'un seul Père, qui est Dieu » (Jn 8, 39. 41).

Le renvoi des interlocuteurs de Jésus au-delà d'Abraham, jusqu'à la paternité de Dieu, donne l'occasion au Seigneur d'éclairer une fois encore sa propre origine avec la plus grande netteté. En effet, dans cette origine s'accomplit pleinement le mystère d'Israël, auquel les Juifs eux-mêmes ont fait allusion en allant au-delà de la descendance d'Abraham en direction de la descendance de Dieu lui-même.

Abraham, nous indique Jésus, ne renvoie pas seulement au-delà de lui-même en direction de Dieu le Père, il renvoie surtout vers l'avenir, vers Jésus, le Fils : « Abraham votre père a tressailli d'allégresse dans l'espoir de voir mon Jour. Il l'a vu, et il a été dans la joie » (Jn 8, 56). L'objection des Juifs disant que Jésus n'a certainement pas pu voir Abraham s'attire la réponse suivante : « Avant qu'Abraham ait existé, moi, JE SUIS » (Jn 8, 58). « Je suis », examine Benoît XVI, tel est de nouveau mis en valeur mystérieusement le simple « Je suis », mais il est maintenant défini par l'opposition au « ait existé » d'Abraham. Au monde des choses qui adviennent et qui disparaissent, qui surviennent et qui déclinent, s'oppose le « Je suis » de Jésus. Schnackenburg fait remarquer à juste titre qu'il ne s'agit pas seulement d'une catégorie temporelle, mais d'une « différence ontologique fondamentale ». « La prétention de Jésus à une façon d'être absolument unique, dépassant toute catégorie humaine (R. Schnackenburg, Das Johannesevangelium, II, p. 6l, voir bibliographie, p. 404) », est clairement formulée.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:45

Benoît XVI décrit le sentiment vif de contemplation, de stupeur sacrée


Venons-en à présent au récit, relaté par Marc, de Jésus marchant sur les eaux à la suite de la première multiplication des pains (Mc 6, 45-52). Ce récit a un parallèle largement concordant dans l'Évangile de Jean (6, 16-21). Zimmermann a soigneusement analysé le texte (H. Zimmermann, TThZ 69, p. 12s). Benoît XVI propose de le suivre pour l'essentiel.

Après la multiplication des pains, Jésus oblige ses disciples à monter dans la barque pour aller vers Bethsaïde. Lui-même se retire « sur la montagne » pour prier. Arrivés au milieu du lac avec leur barque, les disciples ne parviennent plus à progresser, victimes d'un violent vent contraire. Le Seigneur qui était en train de prier les aperçoit et vient à leur rencontre en marchant sur les eaux. On comprend l'effroi des disciples lorsqu'ils le voient marcher sur les eaux. Ils poussent des cris et sont « bouleversés ». Mais Jésus s'adresse à eux avec bonté : « Confiance ! c'est moi ; n'ayez pas peur » (Mc 6, 50).

À première vue, on comprend ce « c'est moi » comme une simple formule permettant aux siens de l'identifier, ce qui leur enlève leur peur. Pourtant cette lecture n'est pas totalement satisfaisante. Car voici que Jésus monte dans la barque, et le vent tombe. Jean, précise Benoît XVI, ajoute qu'à partir de là leur bateau touche très vite terre. Ce qui est remarquable, c'est qu'à ce moment-là ils sont effrayés pour de bon : « Ils étaient complètement bouleversés de stupeur », note Marc d'une expression vigoureuse (6, 51). Pourquoi donc ? La peur initiale des disciples de voir un fantôme s'avère sans objet, mais leur crainte n'est pas apaisée pour autant, elle augmente, au contraire, à l'instant même où Jésus monte dans la barque et où le vent tombe brusquement.

Il s'agit à l'évidence d'une crainte typiquement « théophanique », celle qui s'abat sur l'homme quand il se voit immédiatement confronté à la présence de Dieu lui-même. Nous l'avons déjà rencontrée à la fin de la pêche miraculeuse, où Pierre, bien loin de témoigner une joyeuse reconnaissance, est saisi de crainte jusqu'au fond de l'âme ; il se jette aux pieds de Jésus et il dit : « Éloigne-toi de moi, car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). C'est la « crainte de Dieu » qui envahit les disciples. Car marcher sur l'eau est le fait de Dieu : « À lui seul il déploie les cieux, il marche sur la crête des vagues », peut-on lire dans le Livre de Job au sujet de Dieu (9, 8 ; cf. PS 76, 20 LXX ; Is 43, 16). Le Jésus qui marche sur les eaux n'est pas simplement le Jésus familier ; en lui les disciples reconnaissent soudain la présence de Dieu lui-même.

Il en va de même pour l'apaisement de la tempête, acte qui va bien au-delà de ce que peut un homme et renvoie donc au pouvoir proprement divin. Si bien que dans l'épisode classique de la tempête apaisée les disciples se disent entre eux : « Qui est-il donc, pour que même le vent et la mer lui obéissent ? » (Mc 4, 4l). Dans ce contexte, le « Je suis » a également une autre tonalité : il exprime davantage que la simple volonté qu'a Jésus de s'identifier lui-même, comme si le mystérieux « Je Suis » des écrits johanniques semblait trouver un écho ici aussi. Nul doute, en tout cas, que tout cet épisode soit une théophanie, une rencontre du mystère de Dieu, raison pour laquelle elle se termine logiquement, chez Matthieu, par l'adoration (proskynesis) et par ces mots des disciples : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu! » (Mt 14, 33).


ndlr : Cette page nous a donné le désir de relever dans quelques documents du pape, l'expression qui spécifie cette page, nous voulons dire : la stupeur (en présence de Dieu lui-même). Par exemple, s'adressant aux prêtres, Benoît XVI leur dit : "quand vous prenez dans vos mains le corps Eucharistique de Jésus, rappelez-vous l'attitude de stupeur et d'adoration qui a caractérisé la foi de Marie. (...) De la même façon vous aussi, agenouillez-vous selon la liturgie au moment de la consécration, conservez dans votre âme la capacité de vous étonner et d'adorer. A nous le pape indiquait l’importance d’éprouver un sentiment vif de contemplation émerveillée, presque de stupeur sacrée, face au Mystère de Dieu qui se révèle et nous donne ses richesses dans la Sainte Eucharistie. Et dans Sacramentum caritatis (n° 67), le pape nous engage à nous tenir en compagnie de Jésus, en cultivant la stupeur pour sa présence dans l’Eucharistie.
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:46

Benoît XVI rappelle que Jésus nous donne la "vie" parce qu'il nous donne Dieu


Benoît XVI en vient maintenant aux passages dans lesquels le contenu du « Je suis » est concrétisé par une image. On en trouve sept chez Jean et ce n'est sans doute pas un hasard s'il y en a justement sept : Je suis le pain de vie — la lumière du monde - la porte - le bon pasteur - la résurrection et la vie - le chemin, la vérité et la vie - la vraie vigne. Schnackenburg a raison d'indiquer qu'à ces grandes images on peut parfaitement ajouter celle de la source, de l'eau vive ou jaillissante, même s'il n'y a pas expressément de « Je suis » dans ces passages, car Jésus s'y présente néanmoins lui-même comme étant cette source (cf. Jn 4, 14 ; 6, 35 ; 7, 38 ; et aussi 19, 34). Comme nous avons déjà largement commenté ces images dans le chapitre sur Jean, il suffira de résumer brièvement la signification commune à ces paroles de Jésus chez Jean.

Schnackenburg attire l'attention sur le fait que toutes ces images sont « une variation sur un thème unique, à savoir que Jésus est venu dans le monde pour que les hommes aient la vie et l'aient en abondance (cf. Jn 10, 10). Il fait simplement le don unique de la vie et il peut le faire parce qu'en lui la vie divine est présente avec une abondance originelle et inépuisable (R. Schnackenburg, Das Johannesevangelium, op. cit., II, p. 69s). ». L'homme n'a besoin que d'une chose, il ne désire en fin de compte qu'une seule et unique chose : la vie, la plénitude de la vie, le « bonheur ». Il y a un passage chez Jean dans lequel Jésus donne un nom à cette chose simple que nous espérons, le « comble de la joie » (cf. 16, 24).

Cette chose unique autour de laquelle tournent bien des désirs et bien des espérances de l'homme, est également exprimée dans la deuxième demande du Notre Père : « Que ton règne vienne ». Le « règne de Dieu » est la plénitude de la vie, justement parce qu'elle n'est pas seulement un « bonheur » privé, une joie individuelle, mais aussi le monde parvenu à sa forme juste, l'unité entre Dieu et le monde.

L'homme n'a finalement besoin que d'une seule chose qui les contient toutes, précise Benoît XVI, mais il lui faut faire le tour de ses souhaits et de ses désirs superficiels pour apprendre à discerner ce dont il a vraiment besoin et ce qu'il veut vraiment. Il a besoin de Dieu. Et c'est maintenant que nous pouvons voir ce qu'il y a en fin de compte derrière toutes ces formules imagées : Jésus nous donne la « vie » parce qu'il nous donne Dieu. Il peut nous le donner parce qu'il est lui-même un avec Dieu. Parce qu'il est le Fils. Il est lui-même le don, il est « la vie ». C'est pour cela qu'il est, en raison de sa nature même, communication, « existence pour ». Et c'est cela qui apparaît sur la croix comme sa véritable exaltation.

Jetons un regard en arrière. Nous avons trouvé trois expressions dans lesquelles Jésus à la fois voile et dévoile son propre mystère : Fils de l'homme, Fils, Je suis. Ces trois expressions manifestent son profond enracinement dans la Parole de Dieu, la Bible d'Israël, l'Ancien Testament. Mais c'est en lui seulement que ces trois expressions prennent tout leur sens, comme si elles l'avaient pour ainsi dire attendu.

Ces trois expressions révèlent l'originalité de Jésus, sa nouveauté, sa caractéristique exclusive, à laquelle il n'y a pas de dérivé ultérieur. Aussi ces trois expressions ne sont-elles possibles que dans sa bouche. Au centre, on trouve le mot de la prière, le mot « Fils », auquel correspond le mot de l'interpellation Abba-Père. Aucune des trois expressions ne pouvait donc devenir, en l'état, un langage de profession de foi de la « communauté », de l'Église naissante.

L'Église naissante a placé le contenu de ces trois expressions centrées sur « le Fils » dans la locution « Fils de Dieu », la détachant ainsi définitivement de ses origines mythologiques et politiques. Sur la base de la théologie de l'élection d'Israël elle acquiert maintenant une signification tout à fait nouvelle, qui avait été préfigurée dans les discours où Jésus parlait en tant que Fils et « Je suis ».

Il a fallu bien des processus complexes et laborieux de distinction et de lutte pour clarifier complètement cette nouvelle signification et la préserver des interprétations mythologiques et polythéistes aussi bien que politiques. Pour ce faire, indique Benoît XVI, le premier concile de Nicée (325) a recouru à l'adjectif « consubstantiel » (homoousios). Loin d'helléniser la foi, de la charger du poids d'une philosophie qui lui serait étrangère, ce mot a justement retenu l'incomparable nouveauté, l'incomparable différence apparue dans les dialogues de Jésus avec son Père. Dans le symbole de Nicée, l'Église ne cesse d'affirmer ce que Pierre disait à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16, 16).
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MessageSujet: Re: Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI   Jésus de Nazareth vu par Benoit XVI EmptyDim 31 Oct 2010 - 17:48

Celui-ci est mon Fils bien-aimé

Benoît XVI termine ce premier chapitre en expliquant que dans sa liturgie et sa théologie des icônes, l'Église d'Orient a développé et approfondi cette conception du baptême de Jésus. Elle voit un rapport profond entre le contenu de la fête de l'Épiphanie (lors de laquelle, en Orient, on célèbre Jésus proclamé Fils de Dieu par la voix venant des deux) et celui de la fête de Pâques. Dans les paroles de Jésus à Jean : « C'est de cette façon que nous devons accomplir parfaitement ce qui est juste » (Mt 3, 15), les chrétiens d'Orient entendent par anticipation les paroles prononcées à Gethsémani : « Mon Père, non pas comme je veux, mais comme tu veux » (Mt 26, 39). Les chants liturgiques du 3 janvier correspondent à ceux du mercredi de la Semaine sainte, les chants du 4 janvier à ceux du Jeudi saint, les chants du 5 janvier à ceux du Vendredi saint et du Samedi saint.

L'iconographie reprend ces correspondances. L'icône du baptême de Jésus représente l'eau comme un tombeau liquide ayant la forme d'une grotte sombre, qui est elle-même le signe iconographique représentant l'Hadès, le monde souterrain, l'enfer (agrandir l'image de l'icône). La descente de Jésus dans ce tombeau liquide, dans cet enfer qui l'enserre complètement, est ainsi l'accomplissement avant l'heure de la descente dans le monde des morts : « Descendu dans les eaux, il a ligoté l'homme fort » (cf. Lc 11, 22) dit Cyrille de Jérusalem. Benoît XVI relève que Jean Chrysostome a pour sa part écrit : « S'immerger et émerger sont le symbole de la descente aux enfers et de la résurrection ». Les tropaires (composition hymnographique) de la liturgie byzantine fournissent encore une autre référence symbolique : « À l'époque, le Jourdain reflua devant le manteau d'Élisée, les eaux se divisèrent et libérèrent une voie au sec en tant que symbole véritable du baptême grâce auquel nous parcourons la route de la vie (P. Evdokimov, L'Art de l'icône, p. 246, voir bibliograp p. 397). »

Ainsi le baptême de Jésus est compris comme une répétition de la totalité de l'histoire, qui reprend le passé et anticipe l'avenir : l'entrée dans le péché d'autrui est une descente en « enfer » — non seulement, comme c'est le cas chez Dante, en spectateur, mais dans un mouvement de compassion, de transformation par la compassion, renversant ainsi et ouvrant violemment les portes des profondeurs. C'est une descente dans la maison du mal, une lutte avec l'homme fort qui retient l'homme prisonnier (et en effet, ne sommes-nous pas tous prisonniers des puissances qui nous soumettent à d'indicibles manipulations !). Cet homme fort et invincible à partir des seules forces de l'histoire universelle va être terrassé et ligoté par plus fort que lui, l'égal de Dieu, qui peut donc prendre sur lui toutes les fautes du monde et les endurer jusqu'au bout — sans rien laisser de côté, dans cette descente, de l'identité avec ceux qui sont tombés dans le péché. Ce combat est le « tournant » de l'être, qui opère une nouvelle constitution de l'être, et qui prépare un ciel nouveau et une terre nouvelle. Sous cet angle, le sacrement du baptême apparaît comme un don faisant participer au combat de Jésus pour la transformation du monde, grâce au tournant de la vie qui est advenu avec sa descente et sa remontée.

Cette exégèse et cette appropriation ecclésiales de l'événement du baptême de Jésus nous ont-elles trop éloignés de la Bible ? Dans ce contexte, il est bon de prêter attention au quatrième Évangile, selon lequel Jean le Baptiste apercevant Jésus a prononcé les mots suivants : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29). Ces mots, que l'on prononce avant la communion dans la liturgie romaine, ont fait l'objet d'innombrables conjectures. Que signifie « Agneau de Dieu » ? Comment se fait-il que Jésus soit nommé « agneau » et que cet « agneau » enlève les péchés du monde et les surmonte pour en faire quelque chose qui n'a plus ni essence ni réalité ?

Joachim Jeremias (ndlr :Joachim Jeremias est un orientaliste, exégète et théologien luthérien) a fourni les outils indispensables pour bien comprendre ce mot et pouvoir le considérer comme un véritable mot du Baptiste, y compris sur le plan historique. On y reconnaît tout d'abord deux allusions à l'Ancien Testament. Le chant du serviteur de Dieu dans le Livre d'Isaïe compare le serviteur souffrant à un agneau que l'on conduit à l'abattoir : « Comme une brebis muette devant les tondeurs, il n'ouvre pas la bouche » (Is 53, 7). Encore plus important est le fait que Jésus a été crucifié durant une fête de Pâque juive, si bien qu'il doit donc apparaître nécessairement comme le véritable agneau pascal, qui accomplissait le sens qu'avait eu l'agneau pascal à la sortie d'Égypte : libération de l'Égypte, « maison de servitude », ouvrant ainsi la possibilité de l'exode, la migration pour accéder à la liberté de la Promesse. Partant de Pâques, note Benoît XVI, la symbolique de l'agneau est devenue fondamentale pour comprendre le Christ. Nous trouvons cette symbolique chez Paul (1 Co 5, 7), chez Jean (19, 36), dans la première épître de Pierre (1 P 1, 19) et dans l'Apocalypse (par exemple Ap 5, 6).

De plus, Jeremias souligne que le même mot hébreu taljà signifie à la fois « agneau », « enfant, serviteur » (ThWNT I, p. 343). Aussi est-il possible que le mot employé par le Baptiste ait d'abord désigné le serviteur de Dieu, qui « porte » les péchés du monde en expiant à la place de tous. Mais en même temps ce mot ne l'identifiait-il pas comme le véritable agneau pascal qui efface le péché du monde en le rachetant ? « C'est avec la docilité de l'agneau du sacrifice que le Sauveur mourant sur la croix est allé à la mort à la place de tous et, grâce à la force expiatoire de sa mort innocente, il a effacé la faute de l'humanité entière (Ibid). » De même que le sang de l'agneau pascal avait joué un rôle décisif pour la libération d'Israël du joug de l'oppression égyptienne, de même le Fils devenu serviteur — le berger devenu agneau — ne représente plus seulement Israël, mais il est aussi le garant de la libération du « monde », de l'humanité dans sa totalité.

Ce qui nous introduit au thème majeur de l'universalité de la mission de Jésus. Israël ne représente pas que lui-même, son élection étant la voie choisie par Dieu pour venir à tous : ce thème de l'universalité de Jésus, nous ne cesserons de le rencontrer, car il est le centre même de sa mission. Avec l'expression de l'agneau de Dieu qui porte le péché du monde, il apparaît dans le quatrième Évangile dès le début du cheminement de Jésus.

L'expression « agneau de Dieu » interprète - si nous pouvons nous exprimer ainsi - le baptême de Jésus, sa descente dans les profondeurs de la mort, dans les termes d'une théologie de la croix. Les quatre Évangiles racontent, de façon à chaque fois différente, que lorsque Jésus sortit de l'eau, le ciel « se déchira » (Marc), « s'ouvrit » (Matthieu et Luc), que l'Esprit descendit sur lui « comme une colombe » et qu'une voix venue du ciel retentit, s'adressant à Jésus selon Marc et Luc « Tu es... », disant de lui selon Matthieu : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour » (3, 17). L'image de la colombe, explique Benoît XVI, rappelle sans doute le souffle de l'Esprit planant au-dessus des eaux, dont parle le récit de la création (Gn 1, 2), et elle apparaît par le biais du petit mot « comme » (comme une colombe) en tant que « comparaison pour dire ce qui au fond n'est pas descriptible (J. Gnilka, Das Matthâusevangelium, op. cit., I, p. 78) ». Nous rencontrerons la même voix venue du ciel lors de la transfiguration de Jésus, avec cette fois l'ajout d'une injonction : « Écoutez-le », et nous aurons à nous pencher sur la signification de ces mots.

Pour l'instant, poursuit Benoît XVI, je me contenterai de souligner brièvement trois aspects. Il y a en premier lieu l'image du ciel déchiré : le ciel s'est ouvert au-dessus de Jésus. Sa communion de volonté avec le Père, la « justice », qu'il accomplit « parfaitement », ouvre le ciel dont l'essence est justement que la volonté de Dieu y est totalement accomplie. A quoi s'ajoute la proclamation par Dieu, le Père, de la mission de Jésus, laquelle ne définit pas un faire mais son être : il est le Fils bien-aimé, c'est en lui que Dieu a mis son amour. Et je voudrais souligner pour finir qu'avec le Fils, c'est aussi au Père et au Saint-Esprit que nous avons affaire : on voit s'esquisser ici le mystère du Dieu trinitaire, mais c'est le chemin de Jésus dans son ensemble qui le dévoilera dans toute sa profondeur. A cette précision près, il y a bien un lien qui va de ce commencement du chemin de Jésus jusqu'aux paroles qu'il utilisera après sa résurrection pour envoyer ses disciples dans le monde : « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit » (Mt 28, 19). Le baptême administré depuis par les disciples de Jésus est une entrée dans le baptême de Jésus — dans la réalité qu'il a, ce faisant, anticipée. C'est ainsi que l'on devient chrétien.

Un large courant de la recherche libérale interprète le baptême de Jésus comme une expérience de vocation. Lui qui avait mené jusque-là une vie tout à fait ordinaire dans la province de Galilée aurait fait alors une expérience bouleversante. C'est là que lui serait venue la conscience d'une relation particulière avec Dieu et de sa mission religieuse, conscience mûrie sur la base de l'attente prédominant en Israël et reformulé par Jean, grâce à un bouleversement personnel causé en lui par l'événement du baptême. Or, constate Benoît XVI, on ne trouve rien de tout cela dans les textes. Quelle que soit l'érudition dont on habille cette conception, elle relève plus du genre romanesque sur Jésus, que d'une réelle exégèse des textes. Ces derniers ne nous permettent pas d'entrer dans le monde intérieur de Jésus - Jésus est au-dessus de nos psychologies (R. Guardini, Das Wesen des Christentums, voir bibliographie, p. 397). Mais ils nous permettent de saisir le lien de Jésus avec « Moïse et les Prophètes », l'unité intérieure de son parcours, du premier instant de sa vie jusqu'à la croix et à la résurrection. Jésus n'apparaît pas comme un homme génial avec ses émotions, son échec et sa réussite, qui en feraient finalement un individu d'une période passée dont nous séparerait définitivement une distance insurmontable. Il est devant nous comme le « Fils bien-aimé », qui est donc d'un côté le tout Autre, mais qui pour cette même raison peut aussi être notre contemporain, et, comme le dit saint Augustin, pour chacun de nous, « plus intérieur que l'intime de nous-mêmes
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