Les jeunes Saoudiennes se jouent de la police religieuse
Mots clés : ARABIE SAOUDITE
Par Pierre Prier
10/03/2010 | Mise à jour : 15:04 Réactions (42)
Un couple se promène sur les bords de la mer Rouge à Djedda. Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
Conscient des aspirations des moins de 25 ans, majoritaires, le roi Abdallah desserre le carcan.
Au premier jour des vacances d'hiver à Riyad, des bandes d'adolescentes fêtent les congés dans le centre commercial de la tour Faisaliyah, l'un des symboles de la capitale saoudienne avec sa tour de verre en forme de cône. Les jeunes filles rient fort en se tenant par les coudes. Maquillées, les sourcils épilés et redessinés, et surtout tête nue, les cheveux libres sur les épaules, elles représentent un défi aux règles strictes de l'islam officiel, qui ordonne aux femmes de se couvrir la tête de noir et de cacher leur corps sous un manteau informe de la même couleur, l'abaya. Celles des lycéennes sont largement ouvertes, dévoilant jeans et t-shirts à paillettes. Une brise de révolte souffle sur le royaume. Une partie de la jeunesse urbaine supporte de moins en moins les contraintes vestimentaires. Les filles inventent des subterfuges pour éviter l'abaya au quotidien. Dernière astuce en date, la blouse blanche de médecin, tolérée en public, portée par des adolescentes qui n'ont jamais mis les pieds dans un hôpital.
Normalement, les mutawas, les barbus de la «Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice», la police religieuse, doivent veiller au grain. Mais ce jour-là, dans le centre commercial, pas une seule barbe broussailleuse en vue. La Commission, bras armé de l'establishment religieux, semble faire profil bas. Le roi Abdallah a déjà limogé, il y a un an, son très radical dirigeant, Ibrahim al-Gheit. C'est maintenant au tour du Majlis al-choura, le Conseil consultatif royal non élu, de demander à la police religieuse un rapport précisant le rôle de chacun de ses membres, «afin de comprendre ses structures». L'objectif est «de créer une réglementation» selon laquelle les vertueux policiers «seront tenus pour responsables de leurs actes», cela afin de «réduire les incidents». Les journaux, propriété de membres de la famille royale, ont donné un large écho, ces dernières années, aux excès des religieux et à la résistance des citoyens ; des commissariats des mutawas ont été pris d'assaut par des familles de jeunes gens arrêtés simplement pour s'être trouvés ensemble dans des voitures ou des lieux publics, alors qu'ils n'avaient aucun lien de famille.
La mixité, tout comme l'absence d'abaya et de voile, est toujours théoriquement interdite. «Les policiers religieux ont des trucs pour identifier les couples non mariés. Par exemple interpeller des hommes et des femmes qui se promènent, et leur demander séparément la couleur de leur réfrigérateur, pour voir si leurs réponses concordent», raconte Ibrahim al-Mukatib, président de l'ONG Les droits de l'homme d'abord, non reconnue par le pouvoir.
Débat d'exégète
Ce harcèlement devrait pourtant disparaître, si l'on en croit le chef de la police religieuse pour la région de La Mecque. Dans une interview au quotidien Okaz, Abdelaziz al-Ghamdi assure que la mixité n'est pas interdite par l'islam. Ceux qui le croient s'inspirent de «hadiths faibles», assure-t-il. La hiérarchie des hadiths, les «dits du Prophète», est l'objet de discussions serrées parmi les savants islamiques. «Les hadiths corrects prouvent que la mixité est autorisée», ajoute al-Ghamdi.
Ce débat d'exégète sert un but très politique. Le roi Abdallah, conscient des aspirations des moins de 25 ans, qui représentent 60 % des Saoudiens, sait qu'il doit desserrer le carcan religieux instauré au début des années 1980. À l'époque, la monarchie avait été sérieusement ébranlée dans sa légitimité islamique par l'occupation de la grande mosquée de La Mecque, œuvre d'un groupe millénariste, et par la révolution khomeyniste en Iran. Les Saoudiens devaient donner des gages aux religieux. Le pouvoir dut ensuite faire face dans les années 1990 à une contestation islamiste multiforme, provenant aussi bien d'al-Qaida que d'intellectuels réclamant divers degrés d'ouverture politique.
Aujourd'hui, ces deux mouvements paraissent affaiblis. Le souverain se sent en mesure de poursuivre la modernisation de la société tout en remettant à plus tard l'avènement d'un Parlement élu. Le roi Abdallah doit cependant trouver un difficile équilibre entre une partie de la jeunesse, connectée sur Facebook et avide d'émancipation, et les secteurs conservateurs de la société. La progression à petits pas de la mixité à l'université illustre bien la prudence de la monarchie. Le roi Abdallah a inauguré en grande pompe près de Djedda la première université mixte du royaume, qui porte son nom. Elle compte environ 700 étudiants, saoudiens et étrangers, dont une vingtaine de Saoudiennes. Rien à voir avec le gigantesque projet dont le chantier, de la taille d'une ville, s'étale sur huit kilomètres le long de l'autoroute menant à l'aéroport de Riyad. Celui d'une méga-université exclusivement féminine.