Les origines historiques du catharisme

En général, les historiens «remontent» le temps pour relier les événements historiques constitutifs de l'histoire d'un peuple ou d'une nation.
D'une certaine façon, les judéo-chrétiens ont fait de même en recherchant des preuves de leurs origines dans les textes juifs.
Les historiens du catharisme sont ainsi remontés jusqu'au 10e siècle pour considérer qu'un texte (le slovo de Cosmas) constituait l'origine du bogomilisme, donc du catharisme.
Malgré de nombreuses recherches et des études approfondies de nombreux documents, je n'ai pas pu faire mieux, ou du moins j'ai juste pu montrer que ce document ne pouvait être le premier, car d'autres parlaient d'événements survenus plusieurs décennies aupravant.
C'est un ami qui a émis l'hypothèse qui allait débloquer cette situation. Partant du principe ,largement répété et démontré par l'étude des textes, selon lesquelles les cathares étaient des chrétiens, il proposa de chercher leurs origines dans le christianisme originel, ou plutôt le proto-christianisme du premier siècle.
C'est ainsi que deux personnages clés sont apparus, chacun responsable d'un schisme et l'un "disciple" spirituel de l'autre. Au premier siècle c'est Paul de Tarse qui va attirer notre attention. Le récit principal qui nous parle de lui est Les actes des apôtres, récit du canon judéo-chrétien attribué à Luc, dont la plus grande partie est clairement peu flatteuse pour Paul, ce qui n'est pas étonnant puisque les proto-chrétiens de Jérusalem et les judéo-chrétiens de Rome le considéraient comme «l'apôtre des hérétiques», comme le rapporte un des premiers père de l'Église romaine, Tertulien de Carthage.
C'est au retour de son premier voyage apostolique que Paul découvre des envoyés des colonnes de Jérusalem venus tenter de retourner les membres de sa communauté d'Antioche de Syrie. Face au scandale, un concile se réunit à Jérusalem en 49 et acte le droit pour les proto-chrétiens qui suivent Paul de pr^écher et pratiquer différemment, en ne faisant plus du judaïsme, la porte d'entrée obligatoire à la reconnaissance de Christ. Ce premier schisme n'empêchera pas les deux groupes de conserver des relations, les proto-chrétiens de Jérusalem ayant besoin des subsides que ceux d'Antioche et des communautés fondées par Paul leur fournissaient en accord avec les termes du concile.
En 140, un homme venu de Sinope (rive sud de la mer Noire), Marcion, excommunié par la communauté locale s'installe à Rome où il étudie pendant quatre ans les textes juifs, les textes canoniques proto-chrétiens de Jérusalem et les textes attribués à Paul. À l'issue de ce travail il propose aux presbytes romains un profond remaniement que ces derniers refusent avant de le rejeter. Libéré de ses attaches avec Rome et suffisamment riche pour mettre son projet en œuvre, il fonde des communautés et une Église dont les membres seront les premiers à être désignés du sobriquet injurieux de "chrétiens" par les païens d'Édesse.
Voilà pour la mise en situation. Marcion se disait «élève» de Paul, car la chaîne qui avait abouti à sa formation avait repris et développé les conclusions de l'apôtre.

Pour la précision, et un peu plus, Tertullien n'a jamais été considéré comme Père de l'Eglise. Il a dévié à la fin de sa vie vers le Montanisme, jugé hérétique. Ce dernier, entre autres, n'admettait pas que l'on puisse échapper au martyre en feignant une abjuration. On ne devait même pas pardonner à ceux qui s'en repentaient.

Marcion parvint à constituer une Église qui, au 3e siècle était considérée comme la plus importante des Églises chrétiennes. Affirmation que l'on doit à Tertulien qui, comme Origène, fut père de l'Église catholique, mais n'a jamais eu le titre de docteur de l'Église en raison de ses dérives de fin de vie. Ni lui, ni Origène n'ont été canonisés.

Pendant plusieurs siècles, et notamment à partir de 388, date à laquelle l'empereur Théodose Ier, donna à l'Église catholique de Rome tout pouvoir de justice religieuse, les marcionites restèrent discrets, mais j'ai retrouvé des documents arabes, arméniens et même catholiques, qui montrent que leurs communautés sont restés vives et nombreuses jusqu'au XIe siècle au moins.

Au septième siècle, le deuxième calife Omar ibn al Khattab, aidé du général Amr — fidèle du prophète — envahit la Syrie-Palestine qu'il asservit en éliminant les responsables militaires, politiques et religieux (donc catholiques), et libérant les prisonniers jugés peu dangereux et en donnant le choix à la population de se convertir ou de partir ou de rester en payant une redevance compensatrice pour la protection de leur pratique religieuse qu'il désigna sous le nom de dhimma.
Parmi les prisonniers libérés, un diacre partit vers le Nord (en direction de Sinope ?) et croisa à hauteur de la localité de Mananalis, un païen du nom de Constantin à qui il prêcha sa foi et remis deux ouvrages : l'évangile et l'apôtre. Ce dernier fonda la religion des pauliciens et prit le nom de baptême de Silouanos en hommage au compagnon de Paul, Sylvain.

Les historiens ont omis de chercher à déterminer la religion de ce diacre. Or, Marcion était l'auteur de divers ouvrages religieux dont l'Evangelion et l'Apostolicon, dont le traduction est l'évangile et l'apôtre. Ajouté au fait qu'il n'y avait aucune communauté judéo-chrétienne dans la zone où notre diacre s'est dirigé, mais que Sinope avait des communautés marcionites, il est facile de définir qu'il était de cette obédience.
L'intérêt de Constantin Silouanos pour Paul de Tarse et le choix de pauliciens comme dénomination, finit de nous convaincre du lien entre marcionites et pauliciens.

tchar a écrit:

Pour la précision, et un peu plus, Tertullien n'a jamais été considéré comme Père de l'Eglise. Il a dévié à la fin de sa vie vers le Montanisme, jugé hérétique. Ce dernier, entre autres, n'admettait pas que l'on puisse échapper au martyre en feignant une abjuration. On ne devait même pas pardonner à ceux qui s'en repentaient.

alors que les libre esprits , autre hérétique plus tardif n’avais aucun scrupule à mentir pour sauver leurs peau (et à mon avis n’étant pas moralisateur /kantien , ils avaient bien raison ! )

Merci de ne pas faire de digression, particulièrement à propos d'une méconnaissance de l'histoire de l'Église catholique.

Je passerai sur le détail des aventures de pauliciens, tant à l'est de l'actuelle Turquie (notamment à Téphrike dont ils firent leur capitale), qu'au sud de la Bulgarie (notamment à Philipoppoulos, aujourd'hui Plovdiv), décrites en détail dans l'ambassade de Pierre de Sicile et dans l'Alexiade de Anne Comnène.
Au final, c'est lors de la première croisade que les quatre grands seigneurs dont Godefroy de Bouillon et Raymond 4 de Saint-Gilles, comte de Toulouse, se virent attribuées des troupes de l'empereur d'Orient pour les assister dans leurs attaques pour délivrer les territoires conquis par les musulmans. Parmi ces troupes se trouvaient des pauliciens incorporés après leur défaite en 872. Quand le comte de Toulouse mourut son armée rentra en Languedoc pour assister son fils et il semble bien qu'une partie des pauliciens préféra suivre le mouvement plutôt que de revenir sous la tutelle de l'empereur. Cela pourrait constituer une des voies de transmission de leur religion pendant que ceux qui guerroyaient en Italie du Sud sous le commandement du grand-père de l'empereur et ceux du sud de la Bulgarie faisaient de même de leur côté, favorisant l'émergence du bogomilisme dans cette dernière zone.

À ce jour, aucun historien du catharisme, et j'en ai fréquenté pas mal, n'a remis en cause cette version de l'histoire des cathares et de leurs prédécesseurs. Le lien entre pauliciens et bogomilo-cathares était réfuté par les historiens jusqu'au moment où je leur ai révélé l'existence d'un pèlerinage de bogomiles entre Philippopolis et Tefrike qui s'est produit au XIe siècle.
Mais aujourd'hui, les historiens préfèrent prétendre à la non existence des cathares, sans l'ombre du début de la queue d'une preuve tangible, plutôt que d'approfondir ces pistes. Dommage.

Reconstituer cette "filiation" historique s'est avéré être un vrai casse-tête, car ces groupes étant minoritaires et souvent pourchassés par l'Église officielle, de Rome ou de Constantinople, la documentation a été largement détruite. Heureusement, d'autres cultures (arabe, arménienne, etc.) s'y sont intéressées. Le cas le plus amusant est que les écrits de Marcion ont disparus, mais c'est dans sa critique détaillée que Tertulien nous les a transmis. Il en va de même de Pierre de Sicile par exemple.