Faut-il encore lire les philosophes ?

"...Ce soir elle ne veut pas vous entretenir d'un livre mais de celui qui fait les livres,  un écrivain,  ce genre particulier d'écrivains que sont les philosophes. La passion des idées est une passion enfantine, coléreuse.  Les philosophes sont comme ces enfants en bas âge,  exerçant la puissance de leur désir dans l'assemblage de cubes colorés, larges comme leurs mains. Elevant, bâtissant puis effondrant tout d'un revers de la main. Moi d'abord, crie l' enfant de deux ans, dressant la muraille de ses cubes. Moi partout, murmure le penseur , élevant jusqu' au ciel le bonheur d'une formule.  Mais  celui-là  dont elle vous parle, celui-là vient de mourir et ne dit plus ce genre de choses, et ne le disait plus depuis  longtemps, depuis cette nuit où il avait étranglé sa femme de ses mains longues , de ces mêmes mains qui allaient sur la page blanche,  qui ouvraient les livres précieux. Cette histoire vous la connaissiez. Elle avait affleuré en surface des journaux, trois lignes sur un brillant intellectuel ,  un des soleils de sa génération _ et l'éclipse soudaine ,  la nuit privée d' étoiles. La médecine avait devancé la loi.  Le diagnostic avait empêché tout jugement : dépression grave ,  irresponsabilité.  Dix années suivaient. Dix ans de réclusion dans un hôpital puis dans une maison de retraite, et le silence partout, le grillage du silence aux fenêtres ...

Christian Bobin - L 'inespérée ( Pages 99-100 )"

Quel est le véritable sujet de cette conversation ?

J'ignore si c'est un coup de Saint Chronicité, mais je viens de le découvrir, Christian Bobin. Une citation prise dans Un assassin blanc comme neige :

La mort n’éteint pas la musique, n’éteint pas les roses, n’éteint pas les livres, n’éteint rien.

Si on s'arrête là, c'est optimiste. Mais juste après, quoi qu’il y ait un changement apparent de chapitre (c'est plus un poème qu'un roman) :

Le nouveau-né a devant lui une forêt en feu qu’il lui faudra traverser pieds nus.

C'est aussi un peu de la philosophie.

Que pensez-vous de cette critique radicale des philosophes et de leurs manies obsessionnelles de jouer aux cubes avec tout leurs concepts ?

Dogiraudet a écrit:

Que pensez-vous de cette critique radicale des philosophes et de leurs manies obsessionnelles de jouer aux cubes avec tout leurs concepts ?

Que ça demanderait à être illustré et étayé par un peu plus concret : qui, par exemple, avec quel résultat ? Peut-être que c'est dans le bouquin, mais je ne l'ai pas.

"Le nouveau-né a devant lui une forêt en feu qu’il lui faudra traverser pieds nus" oui Tchar c'est une sorte de constat philosophique sur le mode poétique ...Mais rares sont les philosophes qui s'en tiennent là ,ils sont très bavards ..

Des noms, des noms !

Tchar j'ai choisi justement ce passage de son petit roman car il y décrit et interroge directement les philosophes .

Des noms ? je dirais tous à part peut-être Montaigne, Pascal , Clément Rosset et l' Ecclésiaste .

..Cioran aussi peut-être mais il faut avoir le moral pour pouvoir le lire .Et aussi Alan Watts un "philosophe- artiste" dont son humour en ferait une sorte d'anti-Cioran en quelque sorte ,tout aussi érudit que ce dernier d'ailleurs .

Dogiraudet a écrit:

Que pensez-vous de cette critique radicale des philosophes et de leurs manies obsessionnelles de jouer aux cubes avec tout leurs concepts ?

Je pense que c’est un peu  mal comprendre le « but » de la philosophie , qui n’est pas d’inventer des concepts vides ou de jouer avec les mots mais aux contraire de voir la substance derrière les mots et les langages , d’approché une certaine forme de sagesse puis la philosophie est aussi un art qui peut être vu pour avoir une valeur intrinsèque comme toute art .

Je pense qu’on confond souvent la réthorique et la philo  , on peux être très nul en réthorique et un bon philosophe .

J'insisterai plus sur Montaigne car c'est l'un des très rares philosophes a avoir écrit sur les animaux en tant qu 'êtres vivants sensibles ressentant comme nous des joies ,des peines, des souffrances . J'ai oublié aussi Albert Camus ,un grand auteur qu'hélas je connais peu .

Je vous réitère la question : quel est le véritable sujet de cette conversation ?
Merci de me répondre

Je considère ce texte écrit par une Auteur/autrice Zoé Isle de Beauchaine sur l'œuvre d'un photographe comme un texte de réflexion philosophique .

Transmettre, le dernier opus du prolifique Sergej Vutuc, est un objet hybride et mystérieux invitant à une plongée abstraite au cœur du dilemme que constitue l’existence dans notre monde contemporain.
Depuis plusieurs années, Sergej Vutuc observe la modernisation et la privatisation croissante de l’espace public, explorant la limite entre société et paysage, entre corps et nature. Deux événements concomitants — la pandémie et la grossesse de sa femme, Maycec — ont radicalement fait évoluer cette démarche vers les notions de génération et transmission : « À la réalité plus établie de l’existence en tant qu’individu s’est ajouté le dilemme spécifique – et paradoxalement moins familier – de la reproduction au milieu d’un système toxique, corrompu et manipulateur ; l’idée de nourrir naturellement le malheur globalement orchestré, et la part de responsabilité personnelle sur les générations suivantes par pure conception. »
Le peu de confiance en l’avenir et l’éco-anxiété jouent un rôle de plus en plus important dans le renoncement des jeunes générations à procréer. Une inquiétude dont Sergej Vutuc se fait l’écho dans cette série nébuleuse réalisée à partir de pellicules Super 8 et 35 mm et réunie dans un ouvrage étonnant, aussi élaboré qu’énigmatique.
Transmettre recèle de pages aux multiples formats et épaisseurs. Grâce aux deux reliures de part et d’autre de l’ouvrage, elles s’enchevêtrent et convergent vers le centre, laissant au lecteur la liberté de choisir l’ordre des images. C’est une main après l’autre que ce dernier effeuille le livre pour progressivement y découvrir des formes mystérieuses : immeuble, grillage, paysage arboré ou urbain… L’on reconnaît le langage visuel caractéristique de Sergej Vutuc, dont les images en noir et blanc échappent à toute règle de composition ou d’exposition tandis que les pellicules malmenées par diverses interventions sont autant un terrain d’expérimentation qu’un moyen de remettre en question la notion de vérité dans la photographie.
Une grande part du livre offre un spectacle quasi-abstrait évoquant des tissus humains obtenus par imagerie médicale. Au cœur de l’ouvrage, un vinyle contenant deux morceaux arrangés par Maycec devient l’incarnation sonore de cette abstraction. Des ondes résonnent tandis qu’un battement de cœur se fait entendre à travers les moniteurs médicaux. Ce sont les pulsations de vie de ce futur trio familial, captées par Vutuc jusqu’à l’accouchement.
Véritable poème photographique, Transmettre est l’expression viscérale d’une appréhension, celle, existentielle, de devenir parent, et ce dans un monde où tout espoir semble être perdu. Un ovni dont seul Sergej Vutuc a le secret.

Sergej Vutuc – Transmettre-Putovanje Prolaziti, Slike

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La question pourrait être : "Faut-il encore lire les philosophes ? ( mis à part quelques uns très peu nombreux ) ? ou aussi : l' oeuvre de Christian Bobin ne serait-elle pas finalement la quintessence du savoir philosophique à connaitre au minimum et largement suffisante en soi ?

Je pense que la plupart des philosophes peuvent être lus aujourd'hui, les classiques anciens et la période des lumières gardent notamment un grand intérêt, je pense avec l'exploration et la définition de concepts fondamentaux. Tous les courants philosophiques au cours de l'histoire représentent un mouvement de pensée significatif. Même Sartre et l'existentialisme par exemple a un sens dans l'époque où il émerge. Le courant psychanalytique entre aussi dans la catégorie philosophie selon moi. Mais peut-être qu'aujourd'hui les philosophes ont moins d'intérêt, pour des raisons culturelles, avec la diffusion massive de la connaissance à travers les médias, comme il y a eu un changement important avec l'invention de l'imprimerie et la diffusion du livre.