Le regard que portent les sociologues sur la condition faite à l'individu contemporain est rarement tendre. Au début des années 1980, ils dénoncent la vanité qui guette l'individu émancipé de tout lien. Dix ans plus tard, ils le peignent accablé par la crainte de l'échec et les fluctuations de son désir.
L'individu, pourrait-on dire, est un fait éternel mais une idée moderne. On attribue souvent aux philosophes grecs, stoïciens et épicuriens, le soin d'avoir, les premiers, réfléchi à l'importance de leur vie singulière, puis à la Renaissance d'avoir inventé des métiers autonomes : le banquier, l'artiste, le savant. Le modèle de l'individu libre et pourvu de droits naît, plus généralement, dans l'Angleterre du xviie siècle. Enfin, le romantisme accorda à chacun le droit de prendre soin de ses sentiments, humeurs et états intérieurs.
Plus concrètement, des historiens des moeurs comme Norbert Elias et Michel Foucault ont décrit le lent mouvement de « civilisation » pour l'un, de « discipline des esprits » pour l'autre, par lequel l'individu a trouvé, en même temps que des espaces de liberté, sa place dans les pratiques quotidiennes et la vie sociale.
Pour N. Elias, la liberté de l'individu ne put être acquise qu'au prix de l'intériorisation de certaines normes importantes de la vie sociale moderne (la pudeur, le renoncement à la violence, la courtoisie). Pour M. Foucault, le prix à payer est celui d'une mise en coupe des esprits telle que, désormais, ordre moral et ordre social doivent coïncider.
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