Le trollLe vent soufflait des montagnes, emplissant l'air de fins cristaux de glace.
Il faisait trop froid pour qu'il neige. Par un tel temps, les loups descendaient dans les villages, les arbres au cœur des forêts explosaient en gelant.
Par un tel temps, les honnêtes gens restaient chez eux, devant la cheminée, à se raconter des histoires de héros.
C'était un vieux cheval. C'était un vieux cavalier. [...]
— Tu es venu ici pour mourir?
— Non. Mais il y a quelque chose que je veux faire depuis toujours. Depuis mon adolescence.
— Ouais ?
Cohen essaya de se redresser. Les tendons envoyèrent leurs messages brûlants le long de ses jambes.
— Mon père, croassa-t-il. (II se reprit.) Mon père m'a dit... (II fit un effort pour reprendre son souffle.)
— Mon fils, proposa le cheval.
— Quoi ?
— Mon fils, répéta le cheval. Les pères appellent toujours leur gosse mon fils quand ils sont sur le point de leur communiquer leur sagesse. C'est bien connu.
— C'est un souvenir qui m'appartient.
— Pardon.
— II m'a dit... Mon fils... oui, entendu... mon fils, quand tu auras réussi à vaincre un troll, tu seras capable de tout.
Le cheval cligna les yeux. Puis il se retourna et regarda de nouveau le long de la route malmenée par les arbres, jusqu'à la pénombre inquiétante de la gorge. II se trouvait là un pont de pierre.
Une impression horrible se glissa en lui. Ses sabots résonnèrent nerveusement sur la route à l'abandon.
— Margerie, fit-il. Agréable et chaude.
— Non.
— A quoi bon tuer un troll ? Qu'auras-tu de plus quand tu auras tué un troll ?
— Un troll mort. C'est justement ça. De toute façon, je n'ai pas besoin de le tuer. Uniquement de le vaincre. Mano a... trollo. Et si je n'essaie pas, mon père se retournera dans son tumulus.
— Tu m'as raconté que c'est lui qui t'a chassé de la tribu quand tu avais onze ans.
— Ce qu'il a fait de mieux de toute sa vie. Il m'a appris à me débrouiller tout seul. Viens un peu ici, veux-tu ?
Le cheval s'avança. Cohen se saisit de la selle et se redressa totalement.
— Et tu vas combattre un troll aujourd'hui, fit le cheval.
Cohen farfouilla dans le sac de selle et sortit sa blague à tabac. Le vent fit s'envoler des bouts de tabac tandis qu'il se roulait une nouvelle cigarette à la main.
— Ouais.
— Et tu as fait tout ce chemin pour ça.
— Obligé. Quand as-tu vu pour la dernière fois un pont qui abritait un troll ? II y en avait des centaines, quand j'étais jeune. A présent, on trouve davantage de trolls dans les villes que dans les montagnes. Gras comme des cochons, pour la plupart. A quoi ont servi toutes les guerres que nous avons livrées? Maintenant... on traverse ce pont. [...]
Terry Pratchett - Drame de Troll