L'évangile de Barnabé est un ouvrage décrivant la vie de Jésus rédigés par un ou plusieurs auteurs anonymes vraisemblablement musulmans. Les deux manuscrits les plus anciens écrits en italien et espagnol ont été datés de la fin du XVIe siècle, mais du texte espagnol il ne subsiste qu'une copie du XVIIIe siècle. Le manuscrit italien comprend 222 chapitres, dont l'essentiel décrit le ministère de Jésus. Sous plusieurs aspects, mais non tous, il est conforme à l'idée que se font les musulmans du Nouveau Testament.
Cet Évangile est considéré par la très grande majorité des érudits comme une fraude pieuse, grossière, tardive et pseudépigraphique ; cependant, quelques-uns suggèrent qu'il pourrait contenir quelques restes d'un travail apocryphe précédent, créé pour se conformer à l'islam, ou peut-être gnostique (Cirillo, Ragg), ébionite (Pines) ou diatessaronique (Joosten) ; quelques érudits musulmans le considèrent comme authentique. Certaines organisations islamiques le citent pour appuyer la conception islamique de Jésus.
Premières mentions du texte de l'Évangile de Barnabé
La plus ancienne mention d'un texte se référant vraisemblablement à l'un des deux manuscrits connus, se retrouve dans un manuscrit morisque, BNM MME 9653, à Madrid, écrit vers 1634 en Tunisie par Ibrahim al-Taybili. En racontant comment, à son avis, la Bible prédit la venue de Mahomet, il parle de « l'Évangile de saint Barnabé où l'on peut trouver la lumière » (« y asi mesmo en Evanjelio de San Barnabé donde se hallara luz »). Puis une autre fois en 1718 par le déiste irlandais John Toland qui dans son œuvre « Nazarenus » mentionne qu'en 1709 il avait été heureux de découvrir un évangile musulman dévoilé par Johann Friedrich Cramer ; et encore en 1734 par George Sale dans The Preliminary Discourse to the Koran :
« Les Musulmans disposent également d'un Évangile en arabe, attribué à saint Barnabé, où l'histoire de Jésus-Christ est racontée d'une manière très différente de ce que nous trouvons dans les Évangiles canoniques. De cet Évangile les Morisques en Afrique ont une traduction en espagnol ; et il existe dans la bibliothèque du prince Eugène de Savoie, un manuscrit assez ancien, contenant une traduction italienne du même Évangile, composé, à ce qu'on suppose, à l'usage des renégats. – Le Discours Préliminaire au Coran », p. 79.
Tout cela semble se rapporter aux versions des deux manuscrits connus : l'italien et l'espagnol
Premières mentions d'un Évangile de Barnabé
Le Decretum Gelasianum (dont l'attribution au pape Gélase Ier est apocryphe) ainsi que le Catalogue des 60 livres canoniques du VIIe siècle recensent parmi les apocryphes un « Évangile selon Barnabé[1] ». Ces deux listes ont été établies par des témoins indépendants, mais il n'est pas assuré que les auteurs ont pu se rendre compte de visu de la réalité des ouvrages référencés. Dans les deux cas, l'Évangile selon Barnabé est mis en relation avec un Évangile de Matthias. Par ailleurs, ces listes ne donnent aucune indication sur le contenu d'une Évangile dont l'existence même a parfois été contestée comme dans New Testament Apocrypha (1924).
On ne doit pas confondre cet ouvrage avec l'« Épître de Barnabé », qui a probablement été écrite au deuxième siècle. Il n'y a aucun lien entre les deux livres que ce soit dans le style, le contenu ou l'histoire, sinon leur attribution supposée à Barnabé. En ce qui concerne la circoncision, les deux auteurs adoptent un point de vue totalement différent : alors que l'« épître » rejette les pratiques judaïques, l'« évangile », lui, est en faveur de ces pratiques judaïques et musulmanes. Ni l'un ni l'autre ne peuvent être confondus avec « les Actes de Barnabé » qui racontent l'histoire des voyages de Barnabé le martyr et son enterrement ; on pense que ce dernier a été écrit à Chypre un peu après 431.
En 478, durant le règne de l'empereur Zénon, l'archevêque Arthémios de Chypre annonça que l'endroit où Barnabé avait été enterré en secret lui avait été indiqué en songe. On prétend que le corps du saint a été découvert avec sur sa poitrine une copie de l'évangile selon Mathieu ; c'est ce que dit le récit contemporain de Théodore Lector, qui a peut-être été présent quand les os et l'évangile ont été présentés par Arthémios à l'empereur. Quelques érudits qui défendent l'antiquité de l'évangile de Barnabé proposent que le texte qui aurait été découvert en 478 soit identifié à l'évangile de Barnabé, mais aucun témoignage de l'époque ne vient appuyer cette proposition. Selon une tradition médiévale conservée dans le monastère de Sumela au sud de Tébizonte, les reliques ont été offertes à ce monastère par Justinien, mais ont été perdues un siècle plus tard quand des forces persanes ont occupé les Alpes Pontiques au cours de leurs campagnes contre Héraclius.
En 1986, on a prétendu pendant peu de temps qu'une première copie syriaque de cet évangile avait été trouvée près de Hakkari (cf. Hamza Bektaş in İlim ve Sanat Dergisi de Mars-Avril 1986, et «Türkiye» du 25 juillet 1986, « Barnabas Bible Found », in Arabia 4/1985/ 1405/ No. 41/ Jan.-Févr./ Rabi Al-Thani, p. 46, « Original Bible of Barnabas Found in Turkey » in The Minaret 12, 3; 1.+ 16 avril, 1985, n.p.) [2] Par la suite cependant, on a fait savoir que ce manuscrit ne contenait en réalité que la Bible canonique (Ron Pankow, « The Barnabas Bible? », in : Arabia 1985/1405//Mars-Avril/ Rajib, n.p.)
Les manuscrits
Le manuscrit italien
Le manuscrit italien a été présenté au Prince Eugène de Savoie en 1709 par Johann Friedrich Cramer (Conseiller puis Résident du Roi de Prusse Frederic Ier) et offert à ce dernier le 20 juin 1713. Il fut transféré à la Hofbibliothek de Vienne en 1738, en même temps que le reste de sa bibliothèque, et demeure toujours aujourd'hui à la Bibliothèque nationale autrichienne sous le codex n° 2662. Les pages sont encadrées par des motifs de style islamique, le texte se décompose en chapitres (222 au total) et les marges sont annotées dans un arabe souvent grammaticalement incorrect (on note la présence d'un mot turc et de la syntaxe propre à cette langue). Les notes commentent vaguement quelques passages choisis. Si la reliure est turque et apparait comme d'origine, le papier est italien, tout comme l'écriture manuscrite (ce que confirme l'emploi de nombreux idiomes italiens).
Le manuscrit semble inachevé : un espace a été laissé au début de chacun des 222 chapitres afin d'accueillir un titre, mais seuls 27 de ces espaces ont été remplis. ¨Par ailleurs, 38 pages vierges précédent le texte, pages qu'on estime destinée à l'insertion d'un texte supplémentaire. Cette version italienne est celle traduite par Raggs en 1907 et celle sur laquelle repose la plupart des traductions circulant actuellement. Elle a été traduite en arabe en 1908 par Khalil Saadah et publiée en Égypte.
Une édition en italien moderne a été publiée en 1991 : Eugenio Giustolisi and Giuseppe Rizzardi, Il vangelo di Barnaba. Un vangelo per i musulmani? (Milano: Istituto Propaganda Libraria, 1991).
Luigi Cirillo & Michel Fremaux (missionnaire et père Oblat) « Évangile de Barnabe » : recherches sur la composition et l'origine, Paris, 1977, 598p présente le texte complet du manuscrit en facsimilé, avec une traduction française et un commentaire.
Le manuscrit espagnol [modifier]
Le manuscrit original a été perdu au cours du XVIIIe ou du XIXe siècle, cependant une version espagnole amputée des Chap. 111 à 200 a été retrouvée dans les années 1970 à la bibliothèque Fisher de l'Université de Sydney parmi les fonds de Sir Charles Nicholson, avec l'indication : « Transcrit depuis le manuscript en possession du révérend Edm. Callamy qui l'avait acheté à la mort de M. George Sale... et qui m'a été donné à la mort de John Nickolls, 1745 ». J. E. Fletcher, The Spanish Gospel of Barnabas, Novum Testamentum vol. XVIII ((1976), p. 314-320.
La principale différence avec le manuscrit italien est qu'il manque dans la transcription qui nous est parvenu un nombre substantiel de chapitres, chapitres qui était pourtant bien présents dans l'original tel qu'il avait été examiné par George Sale lors de sa traduction du Coran en 1734. Le texte est cette fois précédé d'une note indiquant qu'il a été traduit de l'italien par Mustafa de Aranda, un musulman d'Aragon résidant à Istanbul. Il contient également une préface écrite par un certain moine « Fra Marino » (l'auteur affirme user d'un pseudonyme), prétendant avoir volé le manuscrit italien de la bibliothèque du Pape Sixtus V. Fra Marino soutient avoir eu un poste dans l'Inquisition et avoir ainsi acquis plusieurs textes qui l'ont amené à penser que le texte biblique aurait été corrompu et que les textes apostoliques les plus fidèles auraient été exclus frauduleusement. Fra Marino prétend enfin avoir été averti de l'existence de l'Évangile de Barnabé par une allusion figurant dans un texte écrit par Irénée contre Paul (texte par ailleurs inconnu), texte lui-même figurant dans un livre qui lui aurait été présenté par une dame de la famille Colonna (Le Palazzo Colonna se trouve à Marino).
Le texte a été publié avec commentaire dans Bernabe Pons L. F. El Evangelio de San Bernabe; Un evangelio islamico espanol, Universidad de Alicante, 1995, 260p.
Origines
Plusieurs commentateurs considèrent que le texte est originaire d'Italie, de nombreuses expressions semblant tellement similaires aux œuvres de Dante qu'elles suggèreraient un emprunt, la préface du manuscrit espagnol supportant également cette conclusion.
Analyse
Cet apocryphe se nourrit profondément de la foi musulmane : antipaulinien et antitrinitaire, insistant sur le fait que Jésus serait seulement prophète et non Fils de Dieu, il cite nommément Mahomet et reprend, en son chapitre 39, la shahadah. Par ailleurs, l'Évangile affirme que Jésus échappa à la crucifixion en étant élevé par Dieu jusqu'au Paradis, tandis que Judas Iscariot fut crucifié, sous ses traits, à sa place.
Ces croyances, en particulier le fait que Jésus n'aurait été ni de nature divine, ni crucifié, sont en conformité avec ce que professe l'islam. Cependant, d'autres passages sont en contradiction avec les croyances musulmanes : par exemple, concernant la Nativité, il est dit que Marie donna naissance à Jésus sans douleur, ou bien concernant le ministère de Jésus, qu'il permit la consommation de vin et condamna la polygamie.
Les thèmes narratifs de cet apocryphe et de manière plus distincte encore, la phraséologie, sont communs avec la Divine Comédie de Dante (Ragg). Dans la mesure où (comme l'estiment la plupart des auteurs chrétiens l'ayant étudié) ce texte serait une tentative de synthétiser des éléments provenant du christianisme et de l'islam, on pourrait mettre cet apocryphe en parallèle avec les documents mauresques et antitrinitaire produits aux XVIe et XVIe siècles, mais on ne connaît pour ce type de travaux aucun précurseurs aussi anciens.
Anachronismes
Plusieurs auteurs ont relevé dans cet apocryphe tardif un certain nombre d'anachronismes et d'incongruités géographiques :
* Il est dit que Jésus monta sur une barque et navigua sur la Mer de Galilée jusqu'à Nazareth - qui se trouve enclavé au milieu des terres- et "monta" à Capharnaüm, qui se trouve sur les rivages du lac. (chap 20-21). Certains défendent la véracité de ces indications en mettant en avant la non-localisation de la ville historique de Nazareth.
* Jésus serait né sous le règne de Ponce Pilate, règne qui commence en fait en 26.
* Barnabé emploie distinctement les termes de 'Christ' et'Messie' comme s'ils avaient des sens différents alors qu'il ne s'agit que de la traduction du même mot (christos). Ainsi, il appelle Jésus "Jésus Christ" mais affirme que "Jésus confessa et dit la vérité : « Je ne suis pas le messie." (ch. 42).
* Il apparait une référence au Jubilé qui est censé se dérouler tous les 100 ans.(Ch. 82), plutôt que tous les 50 ans comme décrit par le Lévitique. Cet anachronisme pourrait donner des indications plus précises sur la date de rédaction, un Jubilé de 100 ans ayant été décrété par le Pape Boniface VIII, décision sur laquelle reviendra dès 1343 le Pape Clement VI qui décréta un retour aux 50 ans traditionnels.
* Adam et Eve mangent une pomme (ch. 40). Cette traditionnelle association entre le fruit défendu et la pomme provient de la traduction latine de la Vulgate et du nom latin de l'arbre malus, qui désigne aussi bien un arbre « mauvais », c'est-à-dire interdit, qu'un simple pommier.
* L'Évangile narre comment "les soldats furent poussés hors du temple comme on pousse les tonneaux quand on les lave pour y mettre du vin". Les tonneaux sont,à l'époque prétendue de sa rédaction, caractéristiques des populations gauloises, la Palestine à cette époque conservant le vin dans des amphores.
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