ENCORE UNE MISE AU POINT
DIEU, C'EST QUOI ?
De quoi parle-t-on exactement ?
"VOCATUS ATQUE NON VOCATUS, DEUS ADERIT"
"INVOQUÉ OU NON, DIEU SERA PRÉSENT"
Cette parole est un oracle de Delphes. Jung l'a gravée au dessus de la porte de sa maison à Küssnacht.
Il en donna la raison :
"Une autre approche commence ici, dit-il, non pas celle de la chrétienté, mais de Dieu Lui-même, et cela semble être la question ultime et primordiale".
Peut-on définir Dieu ?
Certainement pas pour les Hébreux qui l'appelaient le Sans Nom, l'Inqualifiable.
Je laisse la place aux explications de Jung, qui, de façon permanente, parle de Dieu dans ses ouvrages, ses conférences, ses cours. Je n'ai rien lu de plus clair et de plus juste, ou du moins qui corresponde à mon expérience.
Lors de l'émission "Face à Face" de la B.B.C. en 1959, le journaliste demanda à Jung :
"Croyez-vous en Dieu ?". Jung répondit :
"- Je n'ai pas besoin de croire en Dieu ; je sais." (1)
Cette réponse provoqua immédiatement un flot de lettres écrites par ceux qui croyaient que la foi de Jung en "Dieu" était la même que la leur ; d'autres auditeurs disaient qu'ils ne croyaient pas en "Dieu", alors que d'autres encore voulaient savoir ce qu'il entendait au juste par "Dieu".
Dans l'impossibilité de répondre à ces nombreux correspondants, Jung choisit d'exprimer sa pensée sur ce point dans une lettre datée du 21 janvier 1960 qui fut publiée dans le journal anglais The Listener : (2)
Monsieur,
J'ai reçu de nombreuses lettres dans lesquelles il était fait état de mes propos sur la "connaissance" (de Dieu).
Ma façon de concevoir la "connaissance de Dieu" est peu conventionnelle et je comprendrai fort bien que l'on me reprochât de ne pas être un bon chrétien. Pourtant je me considère chrétien car je me fonde sur des concepts chrétiens. J'essaye seulement d'échapper à leurs contradictions internes en faisant intervenir une attitude plus
modeste qui tienne compte des vastes ténèbres qui règnent dans l'âme humaine.
L'évolution continue de l'idée chrétienne, comme celle du bouddhisme également, est une preuve de vitalité. Notre époque a certainement besoin de voir se développer un nouveau mode de pensée à ce sujet, car il n'est plus possible de continuer à penser à la façon des Anciens ou des chrétiens du Moyen Âge lorsque nous pénétrons dans le domaine de l'expérience religieuse.
Je n'ai pas dit au cours de l'émission radiophonique en question : "Dieu existe". J'ai dit :
"Je ne crois pas en Dieu : je sais".
Ce qui ne veut pas dire que je connaisse un certain Dieu (Zeus, Jahvé, Allah, le Dieu de la Trinité, etc...) mais plutôt :
je sais que je me trouve, de toute évidence, en face d'un facteur inconnu que j'appelle "Dieu" en consensu omnium ("quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditur") ( ce qui est toujours admis, partout et et par tous) .
Je me souviens de Lui, je L'évoque, chaque fois que je me sers de Son nom lorsque la colère ou la crainte m'envahit, chaque fois qu'involontairement je dis :
"Oh Dieu !".
Ceci se passe chaque fois que je rencontre quelqu'un ou quelque chose de plus fort que moi. C'est une expression heureuse qui convient à toutes les émotions irrésistibles de mon propre système psychique, (toutes ces émotions) qui maîtrisent ma volonté consciente et s'emparent du contrôle que j'exerce sur moi-même.
C'est le nom par lequel je désigne tout ce qui traverse mon chemin violemment et sans ménagement, tout ce qui bouleverse mes idées subjectives, mes plans et mes intentions et qui change le cours de ma vie pour le meilleur et pour le pire.
D'accord avec la tradition, j'appelle "Dieu" la puissance du destin sous son aspect positif comme sous son aspect négatif et dans la mesure où son origine n'est pas vérifiable ; c'est un "dieu personnel" puisque mon destin signifie surtout moi-même, surtout quand il me parle sous la forme de la conscience comme une vox Dei avec laquelle je puis même m'entretenir et discuter. Nous faisons et en même temps nous savons que nous faisons. Nous sommes sujets et objets à la fois.
Et cependant, je considère qu'il serait intellectuellement immoral de se permettre de penser que le dieu que je conçois est l’Être universel et métaphysique. Seule mon expérience personnelle peut être bonne ou mauvaise, mais je sais que la volonté supérieure repose sur une base qui transcende l'imagination humaine.
Étant donné que je connais ma confrontation avec une volonté supérieure, je connais Dieu, et si, de façon illégitime, je tentais d'hypostasier* ma représentation, je dirais que je connais un Dieu qui est au-delà du bien et du mal, qui règne en moi comme ailleurs :
"Deus est circulus cuius centrum est ubique, cuius circumferen-tia vero nusquam." « Dieu est un cercle dont le centre est partout et la circonférence nulle part. »
Je pense qu'on ne peut répondre plus clairement que cet exposé de Jung à la question posée au début de cet article : « Dieu, c'est quoi ? De quoi parle-ton exactement ?
Pour conclure ces considérations, je rappellerai aussi ce que Jung écrit dans Ma vie :
"La possibilité d'une réalité autre, existant derrière les apparences, devient un problème inéluctable : notre monde est en rapport avec un autre ordre des choses." (3)
Ces quatre exposés des préliminaires nous ont amenés à réfléchir sur des considérations fort sérieuses.
Et la prochaine fois, nous nous accorderons un moment de pause.
A bientôt
* hypostasier : considérer comme une substance réelle ce qui n'est qu'une idée. Prendre pour une réalité, pour un fait concret ce qui est une idée.
Remarque
Je me suis permis de reprendre la présentation très serrée des lignes écrites par Jung. J'ai aménagé des paragraphes pour donner une approche plus aérée, moins compacte, plus facile à lire.
Bibliographie
(1) Émission de la B.B.C. en 1959 ("Face à Face")
(2) Lettre datée du 21 janvier 1960 qui fut publiée dans le journal anglais The Listener
(3) Ma vie, Souvenirs Rêves et pensées, C.G.Jung, éd. Gallimard Folio, 1973
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